Message d'adieu de Michaëlle Jean

le 30 septembre 2010

Lettre aux Canadiennes et aux Canadiens

OTTAWA — Ces jours-ci, alors que mon mandat à la fonction de gouverneur général et commandant en chef du Canada se termine, je n’ai qu’une seule envie et c’est celle de vous dire MERCI. 

Quelle formidable traversée j’aurai effectuée depuis le 27 septembre 2005, en allant partout au pays à votre rencontre pour marcher à vos côtés, ou jusqu’au bout du monde près d’une quarantaine de fois en votre nom. Grâce à vous, l’espoir qui m’a animée dès le premier jour ne m’a jamais quittée, forte de la conviction que le Canada doit continuer à accomplir de grandes choses, si nous travaillons ensemble aux mieux être de la population et de l’humanité. 

Dès mon discours d’installation j’invoquais l’urgence d’en finir avec l’étroitesse du « chacun pour soi et pour son clan » qui n’a plus sa place dans le monde actuel qui exige davantage que nous apprenions à voir au-delà de nos blessures et de nos différends pour le bien de l’ensemble. L’urgence donc, de briser le spectre de toutes les solitudes, et j’en ai même fait ma devise, afin d’instaurer un pacte de solidarité entre tous les citoyens qui composent le Canada d’aujourd’hui. Il y va, disais-je dès lors, de notre prospérité et de notre rayonnement partout où le Canada que j’aime, ouvert et fraternel, apporte au monde un supplément d’âme.  

Merci d’avoir répondu avec grand enthousiasme et de vous être ralliés à mon engagement et à celui de mon mari Jean-Daniel Lafond de contribuer à ce que cet espace institutionnel que nous avons occupé ces cinq dernières années soit plus que jamais un lieu où la parole citoyenne trouve un écho, où les valeurs de respect et de partage, la volonté d’être à l’écoute les uns des autres et d’engager le dialogue prévalent. Chemin faisant, nous avons pu identifier, accompagner dans leurs efforts et faire reconnaître les forces vives, inventives et créatives qui sont à l’œuvre dans chaque province et territoire, dans nos villes comme dans nos plus petites communautés. Vous nous avez fait part, à quantité d’occasions, de vos préoccupations, de vos aspirations, de la somme de vos idées et de vos actions. Vous l’avez fait en toute confiance, en toute liberté. Nous avons aussi chaque fois tenu à mettre en présence des citoyens et des décideurs, question de susciter des synergies fructueuses et d’encourager une gouvernance plus inclusive. 

Mes sourires ont répondu aux vôtres et vos larmes aux miennes. Dans l’un des moments les plus déchirants de ma vie, devant les images insoutenables de la dévastation provoquée par ce tremblement de terre du 12 janvier dernier qui a fait près de 300 000 morts en Haïti, mon pays natal, l’inestimable élan de générosité dont vous avez fait preuve, individuellement et collectivement, était à la fois renversant et tellement rassurant. Sachez qu’il est aussi très réconfortant de voir que la reconstruction de la plus pauvre des nations des Amériques vous importe et que vous avez, comme moi, très à cœur qu’elle aboutisse. 

Je joindrai sous peu la grande famille onusienne pour y participer, fière de notre perspective canadienne et de notre contribution. D’ailleurs, bien que rattachée à l’UNESCO dont le quartier général est à Paris, j’ai choisi d’agir principalement d’ici et je remercie l’Université d’Ottawa d’accueillir mes bureaux sur son campus. 

Qu’il s’agisse d’un pays de toutes les misères comme Haïti ou riche de toutes ses ressources comme le Canada, il est essentiel de miser prioritairement sur l’accès à l’éducation pour chaque enfant et d’investir dans la jeunesse. Chez nous aussi des fossés sont à combler si nous ne voulons pas qu’ils se creusent davantage. 

En septembre 2005, je vous confiais, que rien ne me semble plus indigne de nos sociétés modernes que la marginalisation de certains jeunes conduits à l’isolement et au désespoir. Que nous ne devons pas tolérer de telles dérives. Qu’il est de notre devoir de les engager à participer à la réinvention du monde et que pour cela il faut donner aux jeunes le pouvoir et surtout l’envie de faire ressortir leur plein potentiel. J’en ai fait l’une des priorités de mon mandat. 

Merci à toutes ces associations et à ces milliers de jeunes rassemblés lors de ces dialogues et forums que j’ai tenus à travers le Canada et qui, à grand renfort d’imagination, s’efforcent à contrer l’exclusion en misant sur l’expression artistique dans toutes ses dimensions comme moyen de transformation individuelle et sociale. 

À leur demande et avec le soutien du gouvernement du Canada, de nombreux philanthropes et partenaires du secteur privé, l’établissement de la Fondation Michaëlle Jean servira, en guise de legs, à maintenir notre engagement à leurs côtés et à poursuivre le travail des cinq dernières années auprès du milieu de la culture. Nous ne dirons jamais assez que ce qui façonne le Canada ce sont notamment les femmes, les hommes et les jeunes qui créent au pays et qui participent du dynamisme de notre riche tissu social qu’il nous faut cultiver. 

J’ai pris le pouls de ce pays, j’ai vu combien nous sommes plus forts lorsque nous unissons nos efforts et je peux en témoigner. 

J'ai été appelée à agir sur une scène immense, un territoire d’une beauté éblouissante où je suis allée du connu, à l'inconnu, à l'infini. J’ai parcouru avec émerveillement cette terre généreuse, gardienne depuis des millénaires de la mémoire de nos sœurs et de nos frères autochtones qui cherchent en son sein la force qu’il faut pour renaître de leurs peines et de leurs misères et qui la chérissent comme une mère. J’ai pu en explorer les zones d'ombre et de lumière, sans jamais me lasser. J’ai puisé aussi tant d’enseignements de cet héritage ancestral, j’y ai trouvé nos joies, nos peines et nos racines les plus profondes. 

Représenter le Canada à bien des reprises sur la scène internationale, conduire, en qualité de chef d’État de facto, plusieurs missions, d’un continent à l’autre, m’a permis de voir  le monde, à la fois plus large et plus petit que jamais auparavant. Les enjeux globaux de taille auxquels nous sommes désormais confrontés appellent urgemment, si nous voulons les résoudre, des stratégies communes. La crise économique qui afflige le monde est également une crise de valeurs qui réclame vivement une nouvelle éthique de la responsabilité et du partage. Il en a été beaucoup question non seulement lors de mes discussions avec tous les chefs d’État qui m’ont accueillie mais aussi au cours des forums publics, très intenses et très animés, tenus avec les populations de ces pays, dans l’esprit de cette diplomatie de proximité et à visage humain que je favorise. 

Mon mandat n’aura donc pas été  de tout repos, bien au contraire.  Sur le plan de mes responsabilités constitutionnelles, j’ai eu à affronter les défis particuliers que pose tout gouvernement minoritaire à l’exercice de la fonction du gouverneur général. Un moment de notre histoire politique qui aura certainement amené la population à s’interroger sur notre système et sur le fonctionnement de nos institutions. 

J’ai eu affaire à deux chefs de gouvernement, les très Honorables Paul Martin et Stephen Harper. Je tiens à les remercier tous les deux. L’un d’avoir cru en mes capacités en me désignant le 27e gouverneur général du Canada. L’autre pour le respect réciproque qui a marqué nos rapports des quatre dernières années. 

La dure et dangereuse mission en Afghanistan est une épreuve pour tout le pays et en particulier pour nos militaires et pour leurs familles. J’ai eu tout au long de mon mandat à partager leurs angoisses, leurs peines et le poids du deuil. J’ai aussi été renversée par leur courage et par l’immense générosité dont ces femmes et ces hommes qui endossent l’uniforme font preuve à l’appel du devoir et pour contribuer à l’édification de la paix, de la sécurité et de la stabilité dans cette région du monde secouée par des décennies de conflits meurtriers. Je leur serai toujours reconnaissante de m’avoir ouvert leurs cœurs. 

On ne naît pas gouverneur général et commandant en chef du Canada, on répond à l’appel du destin avec le désir de servir ses concitoyennes et ses concitoyens, en y investissant des années de sa vie et toute son énergie, et on le devient. Avec vous toutes et vous tous à mes côtés et qui m’avez inspirée, j’ai entrepris cette aventure avec le plus grand espoir et toute la conviction nécessaire. MERCI !

Michaëlle Jean

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