Le 14 août 2025
Sous réserve de modifications
Je suis très heureuse de me joindre à vous ce matin sur le territoire traditionnel et non cédé de la nation algonquine anishinaabe.
Le Canada avance sur le chemin de la réconciliation.
Nous faisons de la place aux personnes qui continuent à porter la douleur de l’un des chapitres les plus sombres de notre histoire : le système des pensionnats autochtones.
Ce système a causé de graves torts aux familles autochtones.
Des enfants ont été arrachés à leur foyer. Ils ont été emmenés dans des institutions qui étaient loin de leurs familles. Là-bas, on leur a interdit de parler leur langue et de pratiquer leur culture.
Bon nombre d’entre eux ont été victimes de violences sans nom et de négligence.
Leurs traumatismes se répercutent d’une génération à l’autre.
La réconciliation n’est pas facile.
Elle exige d’avoir des conversations difficiles et d’entendre de dures vérités qui n’auraient jamais dû se produire.
Elle exige également de passer à l’action pour faire tomber des obstacles qui nous divisent depuis trop longtemps.
Appuyer les langues autochtones par la voie de l’éducation en est une. C’est une façon de contribuer à établir un climat de confiance et d’avancer ensemble.
La Décennie internationale des langues autochtones de l’UNESCO est déjà bien entamée.
Bien que la communauté internationale reconnaisse l’importance des langues autochtones dans la création de sociétés plus solides, la lutte est loin d’être terminée.
Ici, au Canada, plus de 70 langues autochtones sont parlées.
Les langues cries et inuktitutes sont les plus utilisées.
Néanmoins, un grand nombre d’autres langues autochtones sont menacées.
En 2006, 21 pour cent d’Autochtones au Canada ont déclaré parler leur langue traditionnelle.
En 2021, ce chiffre est passé à seulement 13 pour cent.
Le besoin de protéger les langues autochtones est urgent.
J’ai été un de ces enfants qui ont eu la chance de grandir dans une maison où deux langues étaient parlées.
En famille, nous parlions toujours l’inuktitut. Mon père, qui parlait couramment l’inuktitut et l’anglais, nous a fait connaître l’anglais.
Ces deux cultures, aimées au même titre, et l’harmonie entre ces deux visions du monde, ont grandement contribué à faire de moi la personne que je suis aujourd’hui.
L’inuktitut, comme tant d’autres langues autochtones, est la langue de nos souvenirs, de nos histoires de famille, de notre imagination et de notre humour.
Encore aujourd’hui, l’inuktitut me rappelle des images, des odeurs, et des endroits, qui ont forgé mon identité.
Toutefois, à l’externat fédéral, nous avons été obligés, mes frères, mes sœurs, mes amis et moi, à poursuivre nos études en anglais seulement.
Il était défendu de parler notre langue maternelle dans la salle de classe et dans la cour d’école, bien que nous nous trouvions dans notre propre communauté de Fort Chimo, connue aujourd’hui sous le nom de Kuujjuaq.
Nous avons perdu la chance de bâtir les fondements de nos apprentissages scolaires sur les riches connaissances culturelles qui nous avaient été transmises à la maison.
Nous avons perdu l’occasion de développer notre pensée abstraite dans notre langue maternelle.
L’idée d’un avenir où nous pouvions réussir professionnellement sans renoncer à notre identité autochtone était hors de portée.
Cela me fait chaud au cœur que de plus en plus d’initiatives au Canada visent à permettre aux enfants autochtones d’apprendre et de parler leurs langues ancestrales à l’école.
C’est l’un de mes souhaits les plus chers.
Bien sûr, comme dans bien d’autres pays, la transformation de l’enseignement des langues autochtones comporte bien des défis ici, au Canada.
Il y a un peu plus de dix ans, j’ai travaillé avec des gens du Nord sur la Stratégie nationale sur la scolarisation des Inuits.
Nous avons formulé dix recommandations.
L’une des principales recommandations était d’investir dans les enseignants.
Comment pouvons-nous attirer davantage de personnes qui parlent inuktitut à la profession d’enseignant?
Comment pouvons-nous tirer parti du potentiel des membres de la communauté, y compris les aînés, qui parlent couramment la langue et qui ne sont pas allés à l’université?
Ces personnes sont des éducateurs à part entière et ont le droit d’être reconnues et soutenues comme telles.
Quel soutien pouvons-nous leur offrir pour les aider à donner le meilleur d’eux-mêmes en classe et à devenir encore plus efficaces dans leur rôle d’enseignant?
Nous devons également reconnaître les iniquités historiques entre les enseignants autochtones et non autochtones et nous engager à les éliminer.
Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre d’autres enseignants autochtones en raison de telles disparités.
Une autre recommandation visait à améliorer l’enseignement en inuktitut en développant et en multipliant le matériel scolaire axé sur les points de vue inuits.
Le matériel doit être pertinent. Il doit susciter la curiosité. Il doit inspirer un sentiment de fierté.
Nous avons également recommandé d’améliorer la coordination entre les territoires, les provinces et les conseils scolaires. Les décisions complexes sur l’enseignement en inuktitut doivent être prises en collaboration pour favoriser l’uniformité et l’unité dans toutes les régions.
Par exemple : pouvons-nous nous entendre sur un système commun d’écriture en langue inuite?
Et comment pouvons-nous veiller à ce que la langue continue d’évoluer, notamment en adoptant de nouveaux mots pour les nouvelles technologies, tout en s’assurant que les mots plus anciens, comme les mots que ma grand-mère utilisait, soient préservés?
Plus important encore, nous avons recommandé de tisser des liens avec les parents, les aînés, et les autres membres de la communauté pour les intégrer à nos systèmes d’éducation.
L’apprentissage de la langue commence à la maison, dans la communauté.
Mais comment donner envie à la communauté d’appuyer cet effort d’apprentissage lorsque beaucoup de ses membres se sentent eux-mêmes détachés de la langue?
Quand certains l’associent au passé ou à des souvenirs douloureux?
Et quand d’autres ont encore de la difficulté à faire confiance aux institutions qui sont responsables d’avoir brisé le lien qu’ils avaient avec leur langue?
Or, tout cela est essentiel.
Les parents, les aînés et la communauté dans son ensemble peuvent avoir un grand impact en encourageant les enfants à s’approprier leur langue, que ce soit en la parlant avec la famille et les amis ou par le biais de l’éducation.
Les défis sont bien réels, mais nous faisons également des progrès.
Au cours des quatre dernières années, j’ai été témoin de nombreuses initiatives communautaires en enseignement des langues autochtones au Canada. J’ai senti un grand désir d’enseigner nos langues.
Toutefois, j’ai aussi constaté combien les besoins sont grands. J’ai constaté qu’il faudra beaucoup plus de soutien pour revitaliser les langues autochtones dans toutes les régions de ce pays.
Aujourd’hui, j’aimerais souligner quelques réussites qui démontrent qu’un tel soutien peut vraiment changer la donne.
Lors de ma visite en Colombie-Britannique, j’ai parlé avec des étudiants d’un programme primé de revitalisation des langues autochtones.
Ce programme offre aux apprenants des stratégies concrètes pour les aider à préserver les langues menacées dans leurs communautés.
À Régina, en Saskatchewan, j’ai visité l’Université des Premières Nations du Canada.
Les étudiants peuvent y suivre des cours d’arts, d’éducation, et d’enseignement de la langue en dans plusieurs de leurs langues autochtones.
Je suis fière que des démarches soient en cours pour établir une université de l’Inuit Nunangat. Je remercie Inuit Tapiriit Kanatami pour leur travail à cet égard.
Ce sera la toute première université du Canada axée sur la culture et la langue inuites et établie dans le Nord.
Ce sont de grandes avancées.
Aujourd’hui, un grand sentiment d’espoir m’anime lorsque je vois de jeunes Autochtones se forger un avenir professionnel tout en affirmant leur identité.
Chers délégués, je tiens à remercier chacun d’entre vous de prendre part à cette conversation.
Je vous remercie également de sensibiliser des gens du monde entier au fait que l’apprentissage des langues autochtones à l’école et à la maison est l’un des investissements les plus importants que nos communautés et nos gouvernements puissent faire.
Pour terminer, j’aimerais vous présenter un mot que ma grand-mère utilisait souvent : Ajuinnata.
Il veut dire persévérer malgré les difficultés. Il veut dire ne jamais abandonner. C’est exactement ce que fait mon peuple, qui survit au fil des générations depuis des millénaires.
Persévérons afin que les langues autochtones continuent de briller, de guérir, et d’enrichir l’humanité tout entière.
Migwech. Nakurmik. Merci. Thank you.
