Les prix Michener

Le 16 juin 2023

Sous réserve de modifications

Bonjour,

Avant de commencer, je voudrais dire à quel point mon mari Whit et moi-même sommes attristés par la perte tragique de vies humaines dans l'accident de transport d'hier, près de Carberry, Manitoba. Je ne peux imaginer la douleur et le chagrin que ressentent les familles et les amis ce matin. Je leur adresse mes sincères condoléances. Je sais que votre communauté et tous les Canadiens vous soutiendront dans cette période difficile. J'aimerais également souhaiter un prompt rétablissement aux personnes blessées dans l'accident, et remercier tous les premiers intervenants qui s'efforcent ce matin d'apporter de l'aide et du réconfort aux proches. Nos pensées vous accompagnent aujourd'hui et dans les jours à venir.

Je tiens à reconnaître que nous sommes sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe, qui vit sur cette terre et en prend soin depuis des milliers d’années. Cette reconnaissance est très significative et reflète le respect des Canadiens et Canadiennes à l’égard du processus de réconciliation que nous menons ensemble.

Félicitations aux lauréats, aux finalistes et à chaque journaliste honoré par les prix Michener. Quel plaisir de vous accueillir tous ici aujourd’hui à la résidence dans une ambiance de célébration. C’est un réel privilège de renouveler le formidable partenariat avec les prix Michener et de rendre hommage à la cohorte de cette année, ainsi qu’aux lauréats et aux finalistes ayant été honorés au cours de la pandémie. Je vous souhaite la bienvenue. Nous attendions ce moment depuis longtemps.

Nous sommes ici aujourd’hui pour reconnaître l’excellence du journalisme d’intérêt public.

Le journalisme est un élément essentiel de notre démocratie. Les médias, dans leur expression optimale, nous obligent à rendre des comptes les uns aux autres et dévoilent le fond des histoires, à petite et à grande échelle. Les journalistes – vous – sont en première ligne, en quête de vérité.

Et cette vérité est déterminante. Aujourd’hui plus que jamais.

Votre travail fait émerger des discussions et des questions difficiles. Peu importe à quel point ils sont inconfortables ou intimidants, il faut parler des défis sociétaux. Le « quoi » et le « comment » des interventions sont importants – car le contexte est primordial.

Le « pourquoi » l’est tout autant.

La semaine dernière, on m’a demandé de commenter le récent acte de vandalisme visant la statue de la reine à Winnipeg. Une statue de la reine Élisabeth II a été remise à sa place d’origine après avoir été arrachée le jour de la fête du Canada en 2021, lors d’une manifestation contre la mort d’enfants dans les pensionnats. La statue réparée a été recouverte de peinture et marquée des mots « tueur » et « colonisateur ».

Ce n’est pas la première manifestation de ce genre au Canada.

Pour certains, cette statue symbolise un passé colonial chargé de blessures et de traumatismes. Elle évoque en permanence la souffrance des pensionnats et le dédain envers les récits et l’histoire des peuples autochtones.

Pour d’autres, elle représente le régime constitutionnel de notre pays et nos liens historiques avec la monarchie.

Lorsqu’on m’a demandé de commenter l’événement, j’ai estimé qu’il ne m’appartenait pas de condamner l’action d’un groupe ou d’en renforcer un autre. Pour moi, il était plutôt important de lancer un débat public sur ce qui nous a amenés à cette situation et sur ce que nous pouvons faire pour évoluer ensemble, dans la compréhension et le respect. Je voulais que les médias, la population canadienne et toutes les parties concernées se posent la question : « pourquoi ».

Sans contexte, sans chercher à savoir le « pourquoi », il nous est impossible d’avoir une conversation sur la réconciliation, et de comprendre toute la dimension d’une réalité.

Le « pourquoi » est la raison de notre présence ici aujourd’hui. Le « pourquoi » est au cœur du journalisme d’intérêt public. Pour établir une relation de confiance avec votre public, vous posez des questions difficiles, vous mettez les choses en contexte et vous favorisez une meilleure compréhension des événements et des problèmes locaux, nationaux et internationaux.

Et cette confiance est le bien le plus précieux dont vous disposez en tant que journaliste.

La vérité est une valeur inestimable dans la société contemporaine, en particulier à une époque où la désinformation est si répandue et où l’IA, les images fantaisistes, l’hypertrucage et les salles d’écho en ligne érodent cette confiance. Les histoires les plus percutantes, comme celles mises en relief aujourd’hui, sont le fruit d’une recherche, de consultations et de validation. Vos reportages nous inspirent confiance parce que vous avez pris le temps de raconter toute l’histoire en tenant compte des différents points de vue.

Vous travaillez également à une époque où les journalistes sont attaqués non seulement en raison de leurs histoires et de leurs affiliations, mais aussi en raison de leur personne.

Combien d’entre vous ont été victimes d’attaques en ligne tout simplement parce que vous faisiez votre travail?

Combien d’entre vous ont reçu des menaces et ont dû rassurer vos proches en leur expliquant que votre sécurité n’était pas menacée?

Combien d’entre vous ont entendu dire qu’il fallait laisser tomber, que cela faisait partie du travail?

Pour parler clairement, ces propos sont inacceptables. Et ce n’est pas justifié.

La peur ne devrait pas se trouver dans l’encrier d’un journaliste.

La misogynie, le racisme et la violence sont des obstacles au progrès.

L’apathie et le mépris entravent l’éclosion de la vérité.

En tant que femme autochtone, je suis confrontée à ces mêmes défis, et je veux travailler avec vous pour aider à faire changer les choses.

En mars, à l’occasion de la Journée internationale des femmes, nous avons organisé une discussion ici même à Rideau Hall, et nous avons entendu les témoignages de certaines de vos collègues – des femmes qui ont éprouvé des difficultés à faire leur travail dans un contexte où elles devaient se protéger contre le harcèlement.

Tout, de l’intimidation à l’autocensure, peut influer sur la façon dont le travail est effectué.

Il incombe à chaque personne d’inspirer et d’encourager la société à tenir un discours respectueux. Mais cette responsabilité ne devrait pas reposer uniquement sur les épaules de celles et ceux qui portent le plus lourd fardeau. Les femmes, et en particulier les femmes racisées, subissent de plein fouet les attaques en ligne misogynes et souvent violemment abusives. Nous avons besoin d’alliés qui osent s’exprimer. Nous avons besoin de collègues qui se mobilisent et prennent la parole. Nous avons besoin que les employeurs adoptent une ligne de conduite. Car nous ne pouvons pas attendre des autres qu’ils fassent mieux si nous ne l’exigeons pas de nous-mêmes.

Tout cela est important parce que votre travail est tellement important.

Et la personne qui fait ce travail est tout aussi importante. Je suis heureuse de voir que des voix diverses et des salles de rédaction de toutes tailles sont représentés ici.

L’inclusion dans un reportage, qu’il s’agisse du sujet traité ou des journalistes eux-mêmes, est essentielle pour nous permettre d’aborder les sujets sous différents angles.

Vous êtes plus que des journalistes. Vous êtes des catalyseurs de changement, sensibles aux gens qui vous entourent. Grâce à vous, nous pouvons instaurer une meilleure compréhension et un plus grand respect dans notre société. Grâce à vous, nous pouvons combattre la haine. J’envisage l’avenir avec beaucoup d’espoir.

Encore une fois, félicitations aux lauréats des prix Michener 2021 et 2022, ainsi qu’au lauréat de la bourse Michener-Deacon pour le journalisme d’enquête  et la bourse Michener-L. Richard O’Hagan pour les études en journalisme 2022 et 2023. Continuez à nous faire grandir avec vos prochaines histoires.

Merci.