Visite au Yukon – Sommet des arts de l’Arctique

Le 27 juin 2022

Sous mode de réservations

Bonjour,

J’aimerais d’abord souligner que nous sommes réunis sur le territoire traditionnel de la Première Nation des Kwanlin Dün et du Conseil des Ta’an Kwäch’än.

Mon mari Whit et moi-même sommes ravis d’être ici pour l’ouverture du Sommet des arts de l’Arctique. Le Canada est fier d’accueillir cet important regroupement d’artistes du Nord venus d’un bout à l’autre de la région arctique.

Merci de m’avoir invitée à cette célébration des arts.

Permettez-moi de vous raconter une histoire.

Cette histoire est celle d’une jeune fille qui grandit au Nunavik, où elle apprend à chasser et à pêcher. Elle apprend aussi où cueillir les aliments. Chaque automne, elle prend plaisir à faire la cueillette des bleuets. Elle parle sa langue, l’inuktitut, et connaît les traditions des Inuits que sa mère, sa grand-mère et d’autres membres de sa communauté lui ont apprises. Son corps, son esprit et son âme tout entiers baignent dans ce monde.  

Mais il existe un autre monde, au-delà de sa communauté.

Son père, un non-autochtone venu du Sud, a appris à aimer son monde à elle; il parle la langue et élève ses enfants selon le mode de vie du Nord. Et il leur donne également en cadeau les connaissances qu’il possède au sujet d’une autre région, d’une autre culture et d’une façon de penser différente. 

Cette petite fille, c’était moi, et j’ai effectivement grandi dans deux mondes. J’ai navigué dans ces mondes et j’ai fait des rapprochements entre eux, toujours dans le but d’améliorer le sort des Inuits et de protéger leurs droits, leur culture et leur langue.

J’ai appris combien il est important de s’ouvrir à de nouvelles idées et à de nouvelles personnes, et de voir le monde dans une perspective différente. J’ai aussi appris que c’était possible de le faire sans abandonner son identité.

Si je vous raconte cette histoire, c’est pour que vous sachiez combien ces visites dans le Nord sont importantes pour moi, et que j’aime beaucoup me retrouver ici de nouveau en compagnie de gens que je connais si bien.

Je vous la raconte aussi parce que vous, les artistes et les défenseurs des arts êtes comme la petite fille que j’étais. Vous jetez des ponts, vous êtes ouverts à de nouvelles idées, vous avez partagé ce que vous êtes avec d’autres personnes et avez conservé vos identités respectives.

Les artistes sont le reflet de la culture. Vous faites la lumière sur des sujets qui touchent nos communautés chaque jour. Vous nous faites voir des choses merveilleuses, mythiques et prosaïques; les défis et la beauté de la vie.

Vous communiquez des vérités importantes à un vaste public, quel que soit votre pays d’origine. Vous nous aidez à nous comprendre par votre art, en mettant en rapport des aspects liés au temps, à la langue, à la culture et aux frontières.

C’est merveilleux de voir les représentants des différentes nations et toutes les personnes qui sont avec nous aujourd’hui. Je suis particulièrement enthousiaste de voir les nombreuses communautés autochtones représentées ici, qui viennent du Canada et de toute la région circumpolaire. Votre présence favorisera la collaboration circumpolaire, autant dans le domaine des arts que dans d’autres domaines. La collaboration entre nos pays est vitale alors que nous devons composer avec certains problèmes pressants, notamment le redressement postpandémique, la souveraineté et les changements climatiques. Les arts peuvent nous aider à nous rapprocher, à amorcer des conversations et à réaliser notre potentiel en tant que partenaires.

Quelles que soient nos différences, nous avons la conviction que l’art est vital pour notre culture, et cette conviction nous unit les uns les autres.

Je l’ai d’ailleurs constaté de mes propres yeux.

En ma qualité de gouverneure générale, j’ai eu l’honneur de voir des œuvres d’art nordique et autochtone durant la dernière année.

Permettez-moi de vous parler quelques instants de ce que j’ai vu.

Au Centre national des arts d’Ottawa, j’ai été sur la même scène que des étudiants du Collège Nunavut Sivuniksavut et du Centre Inuuqatigiit. Ils ont chanté notre hymne national en anglais, en français et en inuktitut devant le public qui assistait au gala des Prix du Gouverneur général pour les arts du spectacle.

À Toronto, j’ai participé à la cérémonie des prix Juno afin de remettre le Prix humanitaire 2022 à Susan Aglukark. Elle est la première Inuite à remporter un prix Juno ainsi que le Prix du Gouverneur général pour les arts du spectacle de la réalisation artistique. Tout au long de sa carrière, elle a contribué à la création de lieux sécuritaires qui ont permis à de jeunes autochtones de s’exprimer librement et de s’immerger dans leur culture grâce à la Fondation Arctic Rose qu’elle a créée.

J’étais également au Musée des beaux-arts du Canada lorsque Laakkuluk Williamson Bathory a remporté le Prix Soby pour les arts 2021. Laakkuluk, une artiste inuite vivant à Iqaluit crée des œuvres d’art qui représentent sa communauté. Comme bon nombre d’entre vous, elle se passionne pour sa région natale, le Nord.

En Allemagne l’année dernière, Deantha Edmunds, la première chanteuse classique inuite du Canada, s’est produite devant un public international lors de la Foire du livre de Francfort.

Au Nunavik, à mon retour dans ma région natale, j’ai porté fièrement de superbes créations vestimentaires autochtones, attirant ainsi l’attention sur des designers qui sont en soi des artistes.

Durant la dernière année, j’ai vu le pouvoir qu’ont les arts et les artistes, et ce pouvoir m’inspire à aller de l’avant.

Ici, au Sommet des arts de l’Arctique, des œuvres d’une grande beauté, stimulantes et originales vous entourent. Comme les meilleures œuvres d’art, elles racontent des histoires et nous entraînent dans une aventure remplie de découvertes. Elles nous font voir notre société, notre pays et notre monde à travers votre regard.

Et nous avons besoin de vos points de vue uniques.

Trop souvent, nous laissons d’autres personnes raconter notre histoire, parler en notre nom et nous définir. C’est ce qui est arrivé aux peuples autochtones pendant trop longtemps, ainsi qu’à d’autres communautés minoritaires.

Jesse Wente, qui préside le Conseil des arts du Canada et qui est avec nous aujourd’hui, a déjà parlé du concept de « souveraineté narrative ».

Pour traduire une citation tirée du livre de Monsieur Wente intitulé Unreconciled : « La souveraineté narrative est l’idée selon laquelle les gens, les communautés et les nations devraient contrôler leurs propres histoires et les outils qui sont utilisés pour les raconter. »

Lorsqu’on reprend le contrôle sur nos histoires, qu’on se les réapproprie, qu’on les raconte dans nos propres langues, on peut commencer à se définir et à définir la manière dont les autres nous perçoivent. On peut mieux communiquer et susciter des conversations sur l’équité, l’égalité, la justice et même la réconciliation.

L’art peut favoriser la réconciliation, qui ne peut se faire d’un seul coup, mais qui est plutôt un engagement permanent à bâtir et à rebâtir les relations entre nous et avec notre territoire. L’art ouvre nos esprits et redéfinit nos priorités. Il aborde les blessures profondes du passé et nous aide à trouver des façons de guérir ensemble.

Je pense que l’art se résume à la vérité : il permet de comprendre les réalités des autres, de découvrir différentes cultures et croyances et de prendre du recul pour laisser les gens raconter leurs histoires, sans les juger ou s’indigner.

Quel que soit le moyen avec lequel vous vous exprimez, vous contrôlez vos histoires, vous apprenez des choses et vous grandissez à partir de l’adversité, et vous nous montrez qui vous êtes et d’où vous venez.

Vous venez du Nord et le Nord transparaît dans votre travail.

Bien entendu, cela n’est pas nouveau. Pendant des milliers d’années, les artistes ont trouvé des façons de communiquer entre eux et ils nous parlent encore aujourd’hui.

Christi Belcourt, une artiste des arts visuels et auteure métisse, a expliqué pourquoi l’art est un outil qui permet d’établir des liens, mais aussi de communiquer. « Utiliser l’art historique métis comme base de mon art a apporté un sentiment de continuité entre le passé et le présent et m’a permis de célébrer ma culture, après avoir survécu à des années difficiles de pauvreté extrême, de mauvais traitements et de honte. »

À l’extérieur du Canada, nous avons l’exemple du peuple des Samis, qui ont créé des peintures rupestres qui évoquent toujours leur histoire et leurs ancêtres.

Les Premières Nations, les Inuits, les Métis ainsi que tous les peuples autochtones du monde ont transmis des histoires de génération en génération.

Quand j’étais enfant, ma grand-mère nous racontait des légendes inuites, ma préférée étant toujours celle de Sedna.

Pour celles et ceux qui n’ont jamais entendu cette légende, l’histoire de Sedna raconte comment elle est devenue la souveraine du monde souterrain inuit et comment sont nées les différentes espèces de loups de mer, de morses et autres mammifères marins.

C’est un mythe de la création.

Nos histoires, et la façon dont nous les racontons sont le reflet de la façon dont nous nous créons nous-mêmes. Dont nous nous définissons.

Nous devons cultiver et protéger nos histoires et les personnes qui les racontent. Nous devons trouver un espace dans le monde et dans nos cœurs pour permettre à toutes les histoires de s’épanouir.

Et elles s’épanouissent. Votre art en est la preuve!

Grâce aux arts visuels, aux arts d’interprétation, à la narration d’histoires et aux arts de la mode. Aux gravures, aux peintures et aux pièces de théâtre. Tant de façons de prendre conscience de la vérité, tant de façons de réaliser la souveraineté narrative. Il en résultera une transformation de la région arctique en une puissance artistique qui favorisera également une meilleure compréhension, un plus grand respect et une meilleure réconciliation.

Comme l’a dit Monsieur Wente, « […] lorsque cette vérité est finalement comprise, des changements significatifs peuvent surgir et se propager comme le feu. »

Il est très difficile de créer des œuvres d’art et dire la vérité, surtout dans le monde d’aujourd’hui, où la mésinformation, la gratification instantanée et les jugements irréfléchis sont monnaie courante, mais je sais que vous saurez vous montrer à la hauteur de cette période de notre histoire.

Il est merveilleux de pouvoir enfin se réunir de nouveau aujourd’hui après avoir été séparés pendant trop longtemps. J’espère que vous profiterez de ce rassemblement pour vous ressourcer, rencontrer de nouvelles personnes, découvrir de nouveaux artistes et discuter les uns avec les autres. Cette rencontre agira comme un moteur qui vous stimulera et vous donnera envie d’avancer pendant la prochaine année. Elle me donne assurément envie d’avancer.

Il y a un mot que j’utilise souvent en inuktitut, et que certaines et certains d’entre vous connaissent déjà. Ce mot, ajuinnata, est un concept important pour les Inuits. Il signifie de ne jamais abandonner et s’engager à passer à l’action, peu importe la cause et le niveau de difficulté. Vous incarnez l’esprit d’ajuinnata.

J’aimerais vous laisser avec les mots de Norma Dunning, lauréate du Prix littéraire du Gouverneur général 2021 dans la catégorie romans et nouvelles. Cette auteure inuite a écrit un essai à propos de la rencontre d’une nouvelle admiratrice après de trop nombreuses années d’isolement en raison de la pandémie. Même si elle parle de livres, je considère que cette citation s’applique à tous les types d’arts et à toutes nos histoires.

« Je pense à la manière dont les livres nous permettent de communiquer l’une et l’autre. D’explorer des choses auxquelles nous n’avions jamais pensé. De nous faire comprendre des choses qui nous ont tourmentées. De permettre à des gens de diverses origines ethniques de se tendre la main et trouver un terrain d’entente. »

Merci de partager votre vision avec nous et de continuer de trouver des façons de nous étonner avec votre art.

Whit et moi-même quitterons ce lieu dans un état d’esprit renouvelé après avoir vu le monde à travers votre regard. 

Merci.