Événement commémorant la confirmation, il y a un an, de la présence de tombes anonymes sur le site d’un pensionnat à Tk̓emlúps te Secwépemc

Le 23 mai 2022

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Bonjour,

Je suis honorée de me joindre à vous aujourd’hui, et je tiens à reconnaître que nous sommes réunis sur le territoire de la Nation Secwépemc, plus précisément sur le territoire des Tk’emlúps te Secwépemc.

Et j’ouvre aussi mon cœur aux victimes du régime des pensionnats qui sont avec nous aujourd’hui, ainsi qu’aux familles et aux communautés qui souffrent des traumatismes générationnels découlant des nombreuses blessures infligées par ce régime.

Vous le saviez. Vous le saviez depuis si longtemps. 

Vous saviez ce qui se passait ici : les atrocités, les disparitions, les pertes. Et le silence.

Tant d’enfants... disparus. Tant de possibilités... perdues.  

Cela a été appelé une découverte. La découverte de tombes anonymes d’enfants dont la vie a été cruellement interrompue bien trop tôt. Mais il ne s’agit pas réellement d’une découverte, mais plutôt de la confirmation de vos expériences et de vos connaissances transmises de génération en génération. 

Mais maintenant, tout le monde sait. Il n’aurait pas dû falloir attendre si longtemps, mais finalement, les gens le savent. Et le fait de savoir a transformé cette communauté. Les gens ont fait des pèlerinages ici, pour présenter leurs respects, pour exprimer leurs regrets, pour montrer leur soutien.

Mais vous n’avez pas encore eu le temps de faire votre deuil, de retrouver la paix dans vos esprits. J’espère que la journée d’aujourd’hui vous aidera dans ce processus de guérison.

Cela prendra du temps. La guérison est un cheminement, pas une destination. Elle commence lentement, en douceur, avec circonspection. Chaque personne suit son propre cheminement, allant de l’avant, mais aussi dans de multiples autres directions.

Hier, j’ai parcouru les lieux. Depuis, je cherche les mots pour traduire mon horreur, ma douleur.

Horreur face aux images qui ont submergé mon cœur dans la tristesse, du fait d’imaginer la frayeur et l’angoisse que les enfants ont dû endurer. La douleur face à la disparition insensée de vies dans vos familles et vos communautés.

C’est inimaginable qu’un lieu d’apprentissage ait été si cruel. Il est inexcusable que des gens aient pu commettre ces atrocités, ou que des gens aient pu rester silencieux au moment de ces actes.

Dans nos communautés, nos villes et nos villages, nous nous attendons à ce que nos écoles soient des lieux d’apprentissage et d’amitié.

Mais ici, au pensionnat de Kamloops, c’était un mensonge.

Car, ici, les enfants autochtones ont plutôt été obligés d’oublier leur identité. De renoncer à leur culture, à leur langue et à leurs croyances. On leur a enlevé la notion d’estime de soi.

Ces enfants suivaient les ordres : ne posez pas de questions; ne parlez pas votre langue; obéissez; taisez-vous; restez tranquilles; suivez.

Au fil des ans, nous, les peuples autochtones, avons retrouvé notre voix, mais cela ne veut pas dire pour autant que les gens nous écoutaient ou comprenaient notre voix.

Aujourd’hui, nous faisons résonner notre voix à travers le pays. Même si c’est difficile, nous révélons aux gens du Canada et du monde entier nos blessures, notre douleur, notre angoisse, notre indignation. Et je sais que nos voix trouvent écho auprès de beaucoup de gens. Dans chaque coin du pays, nous sommes unis par l’effroi et la tristesse qui nous ressentons. Mais maintenant, nous devons trouver un moyen d’avancer ensemble et d’être unis pour dire « Plus jamais nous ne garderons le silence ».

Tant de tombes anonymes. Tant d’enfants qui ont souffert et qui ont péri parce que la société pensait savoir ce qui était le mieux, parce que les gens faisaient la sourde oreille.

Aujourd’hui, nous rendons hommage aux victimes. Nous rendons hommage aux enfants qui ont souffert, aux vies brisées et à tout ce qui aurait pu être.

Aucun enfant ne mérite d’être traité de manière irrespectueuse, d’être rejeté, de subir des abus, de se voir rabaissé à un état inférieur à celui d’un être humain. Et aucun enfant ne mérite de voir disparaître ses camarades, de ne plus jamais les revoir, de se demander s’il sera le prochain.

Les pensionnats ont laissé un lourd héritage de culpabilité, de honte, de peur et de colère.

Mais malgré toute la peine et toute la tristesse qui m’habitent, je ne peux m’empêcher de parler d’espoir.

Car il y a toujours de l’espoir.

L’espoir que la préservation de ces lieux, que les histoires racontées et répétées, finiront par susciter la compréhension et le respect.

L’espoir que nous puissions commencer à guérir, à nous pardonner d’être ici, alors que tant d’autres n’y sont pas. Et l’espoir que les peuples autochtones et non autochtones puissent œuvrer ensemble à bâtir une société évoluée, une société exempte de jugement et d’inégalité, une société où chaque personne peut s’exprimer et connaître la vérité.

Un Canada où chaque personne trouve sa place, sans sacrifier son identité, et qui offre des espaces sûrs pour qu’on puisse y raconter nos histoires.

En tant que peuples autochtones, nous grandissons entourés de légendes et de mythes, de création et de famille. Au fil du temps, nous construisons nos propres histoires, que nous transmettons à la génération suivante.

Dans ce pensionnat et dans d’autres semblables à travers le pays, les églises et les gouvernements ont éradiqué les langues et l’identité des Autochtones par le biais de politiques perverses. Ces institutions ont effacé nos histoires.

Au fil des ans, les pensionnats, la colonisation et les politiques d’assimilation ont fait disparaître une trop grande partie de notre culture, de nos langues et de notre peuple.

Nous en ressentons encore les séquelles aujourd’hui. Nous vivons encore des traumatismes aujourd’hui.

Les histoires de ces enfants se sont arrêtées drastiquement, mais vous ne laisserez pas les choses se terminer ainsi. En faisant entendre votre voix, vous levez l’anonymat qui leur a été imposé par cette école.

On parle ici de garçons et de filles, qui avaient des espoirs et des rêves, dont le cœur était rempli d’amour et dont la vie était pleine de promesses. Ces jeunes avaient des familles et des amis et faisaient partie intégrante de leur communauté et de leur culture.

Et l’histoire de ces enfants, c’est à nous de la raconter maintenant. Ces enfants qui sont exactement comme tous les autres enfants, comme les nôtres. Et nous dirons d’une seule voix : « Nous avons manqué à nos responsabilités envers eux, et envers vous. »

Nous ne pouvons plus jamais laisser cela se reproduire.

Le temps du « Nous ne le savions pas » est révolu. Je livre ce message à toute la population canadienne. Les familles autochtones ne savaient rien du sort réservé à leurs enfants, et beaucoup ne le savent toujours pas. La plupart des Canadiens et Canadiennes ne savaient rien des pensionnats. Maintenant, cette réalité leur est connue.

Comment, alors, pouvons-nous nous affranchir de ce passé ténébreux pour emprunter la voie de la guérison?

Où que j’aille au Canada ou ailleurs dans le monde, je me ferai un devoir d’apporter vos histoires avec moi. Et je raconterai vos histoires et celles de ces enfants. Je contribuerai ainsi à perpétuer leur mémoire.

C’est une responsabilité sacrée pour moi, que ce soit en tant que gouverneure générale, en tant que témoin honoraire de la Commission de vérité et de réconciliation, en tant que mère, et en tant que grand-mère.

C’est une responsabilité qui incombe à toute la population canadienne. Nous avons tous et toutes besoin d’écouter. Nous devons chercher à comprendre.

Il est important que nos écoles enseignent la vraie histoire, les bons comme les mauvais côtés. En intégrant cette vision véridique dans nos programmes, nous jetons les bases qui permettront à la prochaine génération de grandir dans un souci de rétablir et de renforcer des relations, de favoriser la réconciliation, de voir les choses différemment et de valoriser le savoir et les expériences des Autochtones.

Pour conclure, je tiens à vous dire combien je suis fière de vous et de votre travail. La tâche est loin d’être facile. Pour affronter ce passé douloureux, les abus subis, tant mentaux que physiques, il faut faire preuve de courage.

Cette communauté a besoin de temps, d’espace et de soutien pour guérir. Ne minimisez pas votre propre souffrance. Veillez à prendre soin de vous. Trouvez de la force là où vous le pouvez : dans votre cœur, auprès de votre famille et de vos amis, auprès de la communauté et même, si vous le pouvez, auprès des services de santé mentale.

Cette communauté est la première au Canada, mais certainement pas la dernière, à vivre un tel deuil.

En tant que pays, nous devons remédier au manque de ressources, de formation et de soutien en matière de services de santé mentale dans les communautés autochtones. Nous devons travailler à l’unisson pour nous entraider et pour réclamer des services accessibles qui prennent en compte les connaissances et les langues autochtones.

Ajuinnata est un mot en inuktitut, ma langue maternelle. Ce mot comporte la notion de ne jamais abandonner, de persévérer, peu importe la complexité de la situation.

Vous n’avez jamais abandonné, vous avez continué à raconter vos histoires, vous avez continué à raconter les histoires de ces enfants.

Ensemble, vous affrontez ce passé douloureux.

Ensemble, vous ferez en sorte que ces enfants regagnent leur maison.

Et ensemble, nous continuerons à bâtir un avenir meilleur pour les peuples autochtones.

Au nom de toute la population canadienne, je vous offre mes plus sincères condoléances.

Nous pleurons avec vous. Nous sommes à vos côtés. Nous vous croyons.

Merci.