Discours principal à la conference de l'Université Trent

Le 22 octobre 2022

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Bonjour,

Je tiens d’abord à souligner que nous sommes sur le territoire traditionnel des Mississaugas Anishinaabeg. Je les remercie de nous accueillir et de partager leurs connaissances avec nous.

Et je vous remercie tous et toutes d’être ici aujourd’hui pour honorer et reconnaître Shelagh Grant. C’est avec gratitude que Whit et moi participons à cette conférence.

Permettez-moi de commencer en citant des propos de Shelagh qui reflètent sa vision et qui sont tirés de la préface de son livre Sovereignty or Security?

« Le nord du Canada présente un défi sans fin aux historiens qui tentent d’en expliquer le caractère mystique… D’après ma propre expérience, les recherches historiques et les voyages connexes ont stimulé la sensibilisation et l’intérêt à l’égard de ce que la plupart des Canadiens décrivent comme “notre Nord”. Bien que le mythe qui lui est associé continue d’avoir une forte influence sur la perception que le public en a, ce n’est que par des connaissances et une compréhension plus approfondies du passé que nous pouvons espérer améliorer le présent. »

Shelagh était plus qu’une historienne. C’était une visionnaire qui avait compris que, pour envisager un avenir meilleur et améliorer les conditions de vie actuelles, il faut bien connaître l’histoire.

En réalité, Shelagh était beaucoup plus que cela. C’était une épouse, une mère et une grand-mère aimante. Et Shelagh était une très bonne amie.

Shelagh et moi avons travaillé en étroite collaboration pendant des années, en particulier ici, à l’Université Trent, lorsque je remplissais les fonctions de chancelière.

Mais bien avant mon expérience à Trent, nous avons travaillé ensemble sur une série de conférences qui ont par la suite été publiées dans un ouvrage intitulé Inuit : One Future, One Arctic, dont Shelagh avait eu la gentillesse d’écrire la préface.

Je me souviens aussi de nos voyages ensemble, avec son mari Jon, en Écosse, et, souvenir mémorable, près du camp de mes parents à Pyramid Mountain, sur la rivière George, pour pêcher la truite et le saumon. Ou encore des heures passées à discuter au milieu d’un champ couvert de bleuets.

Notre rencontre, aujourd’hui, se fait autour de sa passion : l’Arctique.

Shelagh était une figure exceptionnelle – elle a été l’une des premières personnes au Canada, et l’une des premières femmes, à étudier, comprendre et documenter des faits importants de l’histoire de l’Arctique canadien. Shelagh a eu de l’influence à bien des égards :

Elle a amené les gens à s’intéresser à l’Arctique;

Elle a offert à la population canadienne un portrait complet de la façon dont le Canada a entrepris le développement du Nord et de la façon dont il a établi des liens avec les gens qui y vivent;

Elle a inspiré les spécialistes et les décideurs à mettre leurs idées sur l’Arctique à la portée de tous.

Elle a beaucoup voyagé dans le Nord et a noué des relations avec les communautés nordiques et les Inuits. C’était une porte-parole et une alliée qui prenait à cœur la notion de « Rien sur nous sans nous. »

Shelagh a écouté et enregistré les histoires que les Inuits se racontent à travers les époques, transmises de génération en génération. Notre histoire, notre vérité.

Ce faisant, elle nous a permis de voir que l’Arctique était bien plus qu’une région aux confins du monde.

Elle a compris que l’Arctique est une terre nourricière, qu’il est vital pour la culture, la spiritualité et l’identité des Inuits.

Comme vous le savez, ses livres – Arctic Justice et Polar Imperative, entre autres – sont des incontournables des études postsecondaires sur l’Arctique et les peuples du Nord. Plusieurs parmi vous, sinon vous tous ici présents aujourd’hui, ont appris de ses recherches et ont été inspirés par ses écrits.

Et lorsque Whit et moi parcourons le pays et parlons aux enfants dans les écoles, nous constatons une véritable soif de connaissances chez les éducateurs et les élèves, quel que soit leur âge. Ils sont avides de connaissances sur l’Arctique et sur les peuples autochtones – sur leurs récits, leurs cultures et leurs histoires.

Voilà la réconciliation en action, une notion que Shelagh maîtrisait. Tout au long de sa vie, elle a mené ses activités dans un esprit de réconciliation, et ses écrits nous ont toujours conduits dans cette direction.

L’éducation et la réconciliation vont de pair, après tout. L’une ne va pas sans l’autre. Et les enseignants jouent un rôle essentiel dans le processus.

Les enseignants, et par extension les chercheurs et les historiens, jouent un rôle unique dans la réconciliation. Il leur incombe de nous enseigner la véritable histoire de notre nation, y compris le traitement abominable infligé aux peuples autochtones. Les enseignants aident à façonner nos esprits et nos expériences, et à parfaire nos connaissances sur les peuples autochtones d’hier et d’aujourd’hui.

Lorsqu’il est question de l’Arctique, on peut dire que Shelagh est une référence.

Il vous revient maintenant d’aller encore plus loin. Dans cette salle se trouve l’héritage de Shelagh. On a ici des contemporains de Shelagh. Et aussi de nouveaux venus dans ce domaine d’études. Une nouvelle génération, de nouveaux explorateurs de l’Arctique, qui cherchent à préserver l’Arctique et à promouvoir de nouveaux débouchés dans le Nord canadien.

L’Université Trent offre un espace propice à ces conversations. Elle abrite l’École d’études autochtones Chanie Wenjack et propose des travaux sur le terrain et des recherches pratiques dans l’Arctique dans le cadre du programme d’études et de sciences autochtones et environnementales.

Ailleurs au Canada, on retrouve des programmes de droit autochtone, notamment dans les universités de la Saskatchewan, d’Ottawa et de Victoria, et dans les établissements d’enseignement du Nord, comme les collèges communautaires qui y sont établis.

Mais aussi valables que soient ces programmes, il faut commencer l’éducation encore plus tôt. Il est clair que nos écoles sont le fondement de la grande voie que nous essayons de construire.

On assiste déjà à une évolution passionnante et novatrice de l’élaboration des programmes d’études dans tout le pays. Je vois souvent des enseignants visionnaires, dévoués et engagés qui travaillent à la mise en place de programmes, de cours et de projets scolaires axés sur les Autochtones.

Pourtant, il est possible d’en faire encore plus, de la maternelle à l’université.

Je nous lance à tous un défi : que les personnes dans cette salle et les gens partout au pays cherchent à voir l’Arctique selon la vision de Shelagh. À voir le Canada à travers les yeux de l’Arctique.

Vous avez un grand rôle à jouer dans la transmission des connaissances que vous avez acquises auprès de Shelagh, ici à Trent et dans tout l’Arctique au cours de vos voyages.

Et aux jeunes chercheurs ici avec nous, nous avons aussi beaucoup à apprendre de vous. Votre génération, après tout, est la plus diversifiée de l’histoire du Canada. Vous devez avoir votre mot à dire et participer aux discussions à part entière, au même titre que les autres Canadiens.

Le chemin à parcourir – les grandes traces laissées par Shelagh – est gigantesque. Mais nous devons aller de l’avant pour promouvoir les connaissances et les peuples de l’Arctique. Le travail à accomplir est difficile, mais nécessaire. Et tellement gratifiant.

Plutôt que de nier la vérité de l’histoire du Canada, y compris dans l’Arctique, nous devons nous préparer à l’accepter et à l’enseigner.

Les peuples autochtones comptent sur vous pour aborder ce moment important de l’histoire. Continuez à vous instruire et à instruire les autres sur l’histoire des Inuits et, plus largement, des Autochtones et de l’Arctique. Écoutez leurs histoires. Intégrez la réconciliation dans votre travail.

Ajuinnata est un mot en inuktitut, ma langue maternelle. Ce mot signifie : ne jamais abandonner, persévérer, peu importe la complexité de la situation.

Ajuinnata est un beau mot et il me fait penser à Shelagh.

Je me souviens qu’elle faisait tout son possible pour s’assurer d’avoir l’histoire complète, racontée par les gens du coin. Elle se heurtait à des barrières linguistiques, géographiques et même politiques, mais rien ne lui faisait baisser les bras. Elle était heureuse de voyager dans n’importe quelles conditions, de dormir n’importe où et de parler ouvertement avec tout le monde.

Je suis fière de dire que c’était une grande amie et une personne qui a su marquer les esprits.

Tout comme j’ai commencé en citant Shelagh, je veux terminer en reprenant encore ses mots, dans l’espoir qu’ils nous inspireront en tant que leaders en matière de connaissances sur l’Arctique :

« Nombreuses sont les personnes qui aspirent à devenir des leaders, mais rares sont celles qui y parviennent… Le leadership d’une personne ne se mesure pas à son titre ou à son pouvoir, mais à sa propension à faire passer les besoins des autres avant les siens – et à inspirer les autres à faire de même. »

Veillons à perpétuer l’héritage de Shelagh sur les plans du leadership, de l’éducation, de la réconciliation et de la fierté arctique.

Merci.