Son Excellence madame Sharon Johnston - Allocution à l’occasion du 10e déjeuner annuel des champions de la Fondation de psychologie du Canada

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Toronto (Ontario), le mardi 18 novembre 2014

 

Merci, Steve, de votre aimable présentation. Et merci à vous tous de m’accueillir aussi chaleureusement.

Steve a souligné quelques-unes de mes réalisations. Bien entendu, je suis ici avec vous en tant que présidente d’honneur de la Fondation de psychologie du Canada et épouse du gouverneur général.

Vous ne me connaissez peut-être que par mon titre impressionnant : « Son Excellence madame Sharon Johnston ». Pourtant, ce titre évoque une facette seulement de qui je suis. Je suis aussi Sharon Downey, de l’avenue Summit, à Sault Ste. Marie.

Je suis la fille d’une mère monoparentale. Ma mère, Joan, s’est séparée de mon père lorsque j’avais cinq ans et que ma sœur en avait huit. C’était en 1948, il y a 66 ans de cela.

À l’époque, ma mère est retournée aux études pour devenir assistante sociale et subvenir à nos besoins. Elle a retardé son avancement professionnel jusqu’à ce que ma sœur et moi soyons adultes. Elle a alors obtenu une maîtrise en service social et réadaptation de l’Université de Toronto.

Pendant mon enfance passée dans une ville ouvrière du Nord de l’Ontario, dans les années 1940 et 1950, nous n’avions pas accès au soutien qu’aurait aujourd’hui une famille comme la nôtre. Laissez-moi vous parler des trois décisions fondamentales que ma mère a prises pour me donner l’enfance et l’adolescence la plus stable possible.

Premièrement, nous sommes demeurées dans la même rue que celle où nous vivions avant la rupture de nos parents. Malgré les difficultés financières, ma mère a résisté à la tentation de déménager. Elle a plutôt passé outre aux règlements de la ville et fait construire une petite maison sur notre grand terrain, le divisant pour en tirer un revenu.

Deuxièmement, elle a recruté sa mère, qui habitait aussi l’avenue Summit, pour qu’elle soit en quelque sorte notre deuxième parent. Les enfants ont besoin de discipline, et je dois avouer que ma grand-mère, une infirmière originaire de Grande-Bretagne, était aussi stricte qu’un sergent instructeur du Corps des Marines.

Enfin, ma mère s’est ouverte à la collectivité de l’avenue Summit. Nos voisins ont assumé spontanément le rôle de parents substituts. Ma sœur et moi illustrons bien comment il faut un village, ou du moins des voisins, pour élever un enfant.

Ce système de soutien m’a permis d’éviter l’isolement. Il m’a fourni la stabilité en temps de crise. Et il m’a rendue résiliente sur le plan affectif dans un contexte qui, sinon, aurait été difficile et même précaire.

Cette résilience m'a amenée à faire des études universitaires, à diriger une entreprise et à appuyer activement mon mari tout au long de sa carrière. Avec le recul, je me demande ce qu’aurait été ma vie sans le soutien que j’ai reçu des gens de l’avenue Summit pendant ces années cruciales.

Je dois dire qu’il nous a aussi fallu de la résilience, à mon mari et à moi, pour élever nos cinq filles. Vous pourrez peut-être en savoir plus sur cette aventure en parlant à ma fille Alex, qui est avec nous aujourd’hui.

Je crois aussi que mon amour des enfants et mon désir de les aider proviennent de mes premières expériences sur l’avenue Summit.

Et, si j’ai compris à quel point la résilience est essentielle à la santé mentale, c’est grâce aux gens qui vivaient sur ma rue

Les premières années de Sharon Downey illustrent la définition nuancée de la résilience fournie par Michael Ungar. M. Ungar est codirecteur du Centre de recherches sur la résilience à l’Université Dalhousie.

Il définit la résilience en ces termes : dans les situations de grande adversité, la résilience est la capacité des gens à trouver les ressources psychologiques, sociales, culturelles et matérielles favorables à leur bien-être. 

Dans un monde idéal, la résilience s’apprend le plus tôt possible au cours de l’enfance. Les travaux précurseurs de Fraser Mustard, chercheur canadien de renom, montrent que les enfants qui entrent à la maternelle se développent plus rapidement si nous intervenons pour leur fournir un soutien à tout moment entre la naissance et l’âge de deux ans.

Je simplifie ici la teneur des travaux novateurs réalisés par M. Mustard lorsqu’il dirigeait l’Institut canadien de recherches avancées. Ses recherches scientifiques sur l’intervention précoce exercent une grande influence sur les réflexions publiques actuelles.

Pour sa part, Alison Gopnik, spécialiste de la psychologie du développement à l’Université de Californie à Berkeley, affirme que la recherche récente confirme que les adultes qui ont eu un environnement stable, réconfortant et stimulant pendant la petite enfance s’épanouissent de diverses manières : ils sont en meilleure santé, ils risquent moins de commettre des crimes et leurs mariages sont plus réussis.

Malheureusement, pour bien des jeunes, l’aide n’arrivera que beaucoup plus tard, une fois qu’ils souffriront de dépendances, auront une maladie mentale, seront sans abri ou vivront dans un isolement accablant.

Selon nos hôtes de la Fondation de psychologie du Canada, un enfant sur quatre entre dans la vie adulte avec de graves problèmes affectifs, comportementaux, scolaires ou sociaux. Un sur quatre!

Cette situation est inacceptable dans notre pays.

Après les accidents, le suicide est la cause la plus fréquente de décès parmi les jeunes au Canada. C’est une tragédie pour nous tous de penser qu’un jeune homme ou une jeune femme souhaite mettre fin à ses jours alors que sa vie commence.

Cela dit, je suis ici pour parler de situations qui suscitent l’inspiration et non le désespoir. La résilience est la pierre angulaire d’une bonne santé mentale, et tout le monde ici présent ce matin plaide en faveur de cet aspect essentiel de la santé publique. Mon mari, David, à titre de gouverneur général, et moi ajoutons nos voix à ce plaidoyer.

Vous connaissez peut-être le thème du mandat de mon mari — Une nation avertie et bienveillante : un appel au service (des esprits vifs et des cœurs généreux) — ainsi que ses trois piliers, à savoir l’apprentissage et l’innovation, le bénévolat et la philanthropie, ainsi que le bien-être des enfants et des familles.

Au cours des quatre dernières années, investis de la confiance que les Canadiens ont accordée à David et à moi, nous avons parcouru le pays en long et en large. Nous avons vu des exemples concrets de notre effort national visant à accroître la résilience chez les jeunes Canadiens et les adultes qui les appuient.

Je souhaite vous faire part de trois programmes que j’ai vus et qui fonctionnent bien. Ils sont dignes de mention parce qu’ils se fondent sur des méthodes différentes pour accroître la résilience chez les jeunes à trois stades distincts de leur vie.

Le premier exemple est le programme d’une organisation nationale appelée Home Instruction for Parents of Preschool Youngsters, ou selon son acronyme, HIPPY. HIPPY répond au besoin que Fraser Mustard jugeait si crucial dans le développement de l’enfant : l’intervention précoce.

Ce groupe compte sur des mères qui aident d’autres mères dans le but de soutenir les familles marginalisées — en particulier les familles autochtones et celles qui viennent d’arriver au Canada.

HIPPY est unique, car il collabore avec des mères isolées, chez elles. Il les accompagne pour qu’elles appuient l’éducation préscolaire de leur enfant et créent des liens avec d’autres mères. Pour certaines mères, la participation a même mené à un emploi rémunéré.

HIPPY renforce la résilience chez les enfants et les familles dans leur propre milieu. J’ai eu le privilège de visiter la Première Nation de Musqueam, en Colombie-Britannique, pour mieux connaître le fonctionnement d’un nouveau programme HIPPY propre à la communauté autochtone mis en œuvre dans cette Première Nation et dans d’autres encore en Colombie-Britannique.

Le taux de participation au programme est très élevé. Celui-ci propose aux parents autochtones un enseignement et un apprentissage adaptés à la culture autochtone dans un environnement rassurant — leur propre maison — tout en renforçant les liens entre les membres de la famille et de la collectivité. Chaque mère à qui j’ai parlé m’a dit : « Grâce à HIPPY, je suis une meilleure mère. »

Une autre initiative inspirante est la Unity Charity. Fondée par un jeune Canadien remarquable dénommé Mike Prosserman, qui a lui-même surmonté des difficultés importantes dans la vie, cette organisation donne aux jeunes les moyens de devenir des modèles de comportement et des leaders dans leur milieu.

Les activités de Mike dans l’ensemble du pays ont changé la vie de 100 000 jeunes Canadiens et Canadiennes. La Unity Charity utilise trois formes d’expression créatrice, soit la boîte à rythmes humaine appelée « beat boxing », la création parlée, ainsi que le hip-hop et le break dancing, pour aider les adolescents à surmonter l’isolement causé par l’intimidation, la violence et d’autres problèmes sociaux.

J’ai rencontré Mike et son groupe pour la première fois dans une grande salle fournie par le Musée des beaux-arts de l’Ontario. Ce jour-là, les nouveaux modèles et leaders que j’ai rencontrés étaient presque tous issus de l’immigration. Chacun m’a expliqué comment la Unity Charity lui a permis d’utiliser l’expression créatrice pour vaincre son isolement, acquérir de la résilience et transformer ses difficultés en quelque chose de positif.

Mon dernier exemple est l’Opération Rentrer au foyer, à Ottawa, dirigée par Elspeth McKay, une diplômée de la faculté des sciences de la gestion Ivey. Son organisation est née à la suite d’une question qu’on lui avait posée : « Est-ce qu’une entreprise qui a des valeurs de partage et d’entraide peut quand même être rentable? » Sa réponse est « oui ».

L’Opération Rentrer au foyer a ouvert cinq entreprises d’économie sociale qui visent à faire un profit tout en aidant des jeunes marginalisés à entrer sur le marché du travail et à obtenir les compétences nécessaires pour démarrer leur carrière. L’organisme dirige également une école secondaire pour les jeunes à risque ainsi qu’un centre de services d’urgence.

Environ 90 pour 100 des jeunes qui utilisent les services de l’Opération Rentrer au foyer ont des problèmes de santé mentale. Pourtant, près de 75 pour 100 réussissent à finir leurs études ou à trouver du travail.

Il y a deux semaines, j’ai assisté au lancement d’une collection de bijoux créée par Audrey Hayes et Angela Williams, deux jeunes femmes remarquables qui utilisent les services de l’Opération Rentrer au foyer.

Elles ont nommé leur collection la Collection Sharon Johnston. Leurs bijoux uniques sont faits à partir de retailles de tissu provenant de l’ourlet de mes robes de soirée, qui sont raccourcies compte tenu de ma petite taille.

Ces jeunes femmes et leur entreprise de joaillerie, maintenant rentable, sont des exemples de la résilience qui découle d’une vie tumultueuse. Audrey a quitté la maison à 14 ans, incapable de supporter les graves problèmes de santé mentale de ses parents. Elle est devenue toxicomane.

Elle s’est tournée vers l’Opération Rentrer au foyer et a acquis les compétences nécessaires pour se reprendre en main. Audrey a seulement 23 ans.

Si vous voulez une autre preuve de leur réussite, la Unity Charity et l’Opération Rentrer au foyer font désormais partie du Réseau mondial d’innovation en santé mentale. Ce réseau est dirigé conjointement par le Centre for Global Mental Health de la London School of Hygiene and Tropical Medicine ainsi que le département de la santé mentale et de toxicomanie de l’Organisation mondiale de la santé.

Alors, quelles sont les leçons tirées de ma vie sur l’avenue Summit et de mes voyages au pays dont je peux vous faire part?

Premièrement, la recherche éprouvée de Fraser Mustard et la réussite récente de HIPPY nous montrent que nous devons intervenir tôt. Le plus tôt est le mieux. Nous devons soutenir et outiller les parents afin qu’ils aident leurs enfants à acquérir la résilience affective qui caractérise les enfants en santé.

Deuxièmement, même si nous ne réussissons pas à appuyer les enfants avant qu’ils entrent à la maternelle, nous pouvons intervenir à d’autres stades de leur vie. Nous devons faire preuve d’imagination. Qui aurait imaginé que la création parlée ou le hip-hop aideraient les adolescents à vaincre leur isolement et à acquérir de la résilience? Comme la Unity Charity l’a démontré, c’est possible.

Nous devons également être conscients du fait qu’il n’existe pas de solution universelle. Un programme destiné aux enfants dans les quartiers centraux ne répondra peut-être pas aux besoins des enfants dans les régions rurales. Nous devons trouver la façon d’adapter un programme pour qu’il fonctionne dans les petites villes et les régions éloignées.

Troisièmement, nous devons créer des réseaux. Dans la salle ici aujourd’hui se trouvent des gens d’affaires, des psychologues, des spécialistes de l’éducation, des chercheurs et des intervenants des services de santé et des services sociaux. Beaucoup d’entre vous participent à des programmes qui permettent d’accroître la résilience chez les enfants et les jeunes, y compris les travaux admirables de la Fondation de psychologie du Canada.

Si vous n’êtes pas encore actifs dans ces réseaux, je vous invite à agir. Abattez les cloisons entre les disciplines. Faites équipe avec des spécialistes dans d’autres professions. Imaginez les réseaux complexes que vous pouvez construire pour démarrer une nouvelle initiative ou élargir la portée d’un programme actuel.

Permettez-moi de revenir à l’histoire d’Audrey Hayes, l’une des jeunes joaillières de l’Opération Rentrer au foyer. Grâce à un heureux concours de circonstances, Audrey est venue me rencontrer à Rideau Hall pour discuter de son entreprise de joaillerie au moment où Sandra et Joseph Rotman séjournaient chez nous.

De concert avec l’École de gestion Rotman, Sandra a mis sur pied Rise Asset Development pour fournir du mentorat et du microfinancement aux jeunes entrepreneurs aux prises avec des problèmes de santé mentale et de toxicomanie, des gens comme Audrey.

Bien que Rise Asset n’ait pas supervisé le plan d’affaires d’Audrey, Sandra était préoccupée lorsqu’elle a entendu Audrey dire qu’il lui avait fallu neuf longs mois pour l’établir. Sandra a laissé entendre que Rise Asset aurait pu raccourcir le temps qu’il a fallu à Audrey pour trouver le chemin vers l’entrepreneuriat.

Pourquoi les gens d’affaires et les étudiants en gestion ne feraient-ils pas équipe avec des entreprises sociales telles que l’Opération Rentrer au foyer pour enseigner la création de plans d’affaires et d’autres outils essentiels et donner des conseils? Après tout, le professionnalisme et le bénévolat forment une combinaison gagnante qui donne d’excellents résultats.

Les professionnels et les gens d’affaires devraient collaborer avec les chercheurs et les gens du milieu de l’éducation. Ces derniers devraient collaborer avec les travailleurs de la santé et des services sociaux. La science et la pratique devraient travailler main dans la main.

Des événements tragiques récents ont montré l’importance de la santé mentale chez les jeunes Canadiens et Canadiennes. La santé mentale des jeunes doit être une de nos préoccupations principales en tant que nation. Nous devons agir dès maintenant.

La réunion d’aujourd’hui s’appelle le petit déjeuner des champions.

Chacun de nous est, à sa façon, un champion de la défense des enfants et des jeunes vulnérables.

Ensemble, nous devons être des champions qui font en sorte que le Canada demeure le meilleur endroit sur la planète où grandir, le meilleur endroit où les enfants peuvent avoir une enfance en santé et le meilleur endroit où ils peuvent avoir une vie réussie et pleinement satisfaisante à l’âge adulte.

Merci.