Son Excellence madame Sharon Johnston - Ottawa Women’s Canadian Club

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Ottawa (Ontario), le jeudi 17 janvier 2013


Merci de m’avoir invitée à venir vous parler aujourd’hui. Je suis honorée d’être aux côtés de maintes femmes talentueuses qui ont tant apporté à notre pays.

L’an dernier, lors d’une rencontre officielle à Rideau Hall, une membre du Ottawa Women’s Canadian Club a posé la question suivante : « Pourquoi l’Ordre du Canada n’est-il pas décerné à plus de femmes? ».

Peu après cette conversation, j’ai entrepris de trouver la réponse.

Aujourd’hui, j’aimerais examiner trois questions avec vous :

  1. Pourquoi notre régime de distinctions honorifiques reconnaît-il beaucoup moins de femmes que d’hommes?

  2. Est-ce que ces distinctions embrassent les contributions uniques des femmes?

  3. Que pouvons-nous faire?

Pour pouvoir répondre à ces questions, parlons d’abord de l’Ordre du Canada.

L’Ordre, qui porte la devise « Ils veulent une patrie meilleure », a été créé il y a 45 ans, en 1967, pour souligner le 100e anniversaire de notre pays. Il a depuis été conféré à plus de 6 000 Canadiens, dont le quart seulement étaient des femmes.

La Reine est la souveraine de l’Ordre. Il s’agit d’une distinction apolitique (contrairement à bien des distinctions remises dans d’autres pays) qui relève du gouverneur général.

Les recommandations sont évaluées par un comité consultatif prestigieux présidé par le juge en chef du Canada. Les récipiendaires sont choisis à partir des candidatures soumises par quiconque au Canada et sont annoncés deux fois l’an, soit aux alentours de la fête du Canada et du Nouvel An.

L’Ordre comporte trois grades. Celui de Membre reconnaît une vie vouée au service, celui d’Officier l’œuvre d’une vie et le grand mérite, et celui de Compagnon l’œuvre de toute une vie et le mérite exceptionnel.

Le Régime canadien de distinctions honorifiques comprend beaucoup d’autres distinctions, y compris les Décorations pour service méritoire, les distinctions militaires et policières, ainsi que les médailles de la bravoure. 

Il y a également les divers prix du gouverneur général, qui ne font pas partie du régime de distinctions honorifiques et qui couvrent des sujets variés allant des arts visuels et du spectacle à la littérature, en passant par le journalisme, l’architecture, l’histoire et l’enseignement.

Il y a aussi le Prix du Gouverneur général pour l’entraide, qui reconnaît la philanthropie et le bénévolat à l’échelle communautaire.

Le Prix pour l’entraide est particulièrement important pour moi et mon époux, puisqu’il décerne souvent cette distinction à des gens remarquables, des voisins exceptionnels pour leurs concitoyens, quand nous visitons leur communauté.

Ces gens n’attendent pas de récompense, heureux de savoir qu’en montant au créneau, ils ont aidé quelqu’un. Et ils ne rateront pas une occasion de refaire la même chose.

Finalement, il y a les médailles commémoratives, créées pour souligner des occasions spéciales, comme la Médaille du jubilé de diamant de la reine Elizabeth II. Au cours de la dernière année,  60 000 de ces médailles ont été remises à des personnes qui ont servi le Canada, suivant la tradition de dévouement, de devoir et d’honneur entretenue par la Reine depuis 60 ans.

À la lumière de ce qui précède, il est clair qu’il existe plusieurs façons de reconnaître les femmes dans le cadre de notre régime de distinctions honorifiques.

Revenons à l’Ordre du Canada. Il couronne une vie de travail acharné et des contributions extraordinaires dans le domaine des arts, de l’éducation, des affaires, de la fonction publique, du bénévolat, de la philanthropie et j’en passe.

Les récipiendaires ont à leur actif de nombreuses réalisations, ils provoquent le changement, ils créent un Canada meilleur, un monde plus fort.

J’aimerais vous parler de quelques-unes des femmes qui ont été investies de l’Ordre :

Le Dr Brenda Milner, une neuropsychologue de réputation mondiale, est Compagnon de l’Ordre.

L’honorable Louise Arbour, une défenseure des droits de la personne et des libertés civiles reconnue bien au-delà des frontières canadiennes, est aussi Compagnon de l’Ordre.

Parmi les autres femmes à qui l’on attribue des réalisations diversifiées, pensons à l’honorable Rosemary Brown, Officier de l’Ordre, championne des droits des femmes et des minorités, et activiste politique et sociale; à Roberta Bondar, Officier et première astronaute canadienne; à Mary Simon, Officier et dirigeante du Nord canadien; ainsi qu’à Natalie MacMaster, Membre et violoneuse de renommée internationale.

Il s’agit de grandes Canadiennes et de femmes absolument extraordinaires. Malgré cela, les Canadiennes sont beaucoup moins nombreuses que les Canadiens à récolter les honneurs. Comment changer les choses? Que faire pour rendre hommage à un plus grand nombre d’entre elles?

Permettez-moi de faire une parenthèse pour aborder brièvement les réalisations bénévoles de mes prédécesseures, c’est-à-dire les épouses des gouverneurs généraux précédents. Je tiens à le faire, parce qu’elles ont joué un rôle essentiel dans la reconnaissance des réalisations des femmes.

Traditionnellement, les femmes ont laissé leur marque comme bénévoles et non pas comme professionnelles rémunérées.

La sous-représentation historique des femmes dans les rangs de l’Ordre du Canada n’a rien de surprenant quand on pense que ce n’est qu’en 1929 qu’elles ont été reconnues comme des « personnes », obtenant le droit d’être nommées au Sénat. Et ce n’est que 30 ans plus tard que la très honorable Jeanne Sauvé est devenue la première femme à occuper le poste de gouverneur général. Depuis, la très honorable Adrienne Clarkson et la très honorable Michaëlle Jean ont également assumé ces fonctions avec brio.

Avant qu’une femme n’occupe ce poste, il revenait à l’épouse du gouverneur général de parler au nom des femmes. Leurs contributions bénévoles ont mené à des changements sociaux importants et durables.

Par exemple, Lady Aberdeen a fondé les Infirmières de l’Ordre de Victoria vers la fin des années 1890. Plus de 100 ans plus tard, cette organisation fait toujours partie intégrante des soins de santé.

Cinquante ans après la création des Infirmières de l’Ordre de Victoria, le gouverneur général Georges Vanier et son épouse, Pauline, ont fondé l’Institut Vanier de la famille. À ses débuts, l’Institut étudiait les familles traditionnelles, c’est-à-dire celles où les femmes restaient typiquement à la maison pour s’occuper des enfants et des tâches ménagères.

Cependant, l’Institut a rapidement changé de cap, devenant la voix d’une dynamique familiale en changement caractérisée par des mères qui travaillent, des unités monoparentales, le divorce, l’adoption, les techniques de reproduction, l’itinérance et l’égalité salariale. Au printemps, l’Institut Vanier participera à un groupe de réflexion sur les familles militaires.

Les Vanier ont planté une graine et l’ont laissée germer sous la direction de professionnelles compétentes comme Nora Spinks, la directrice générale actuelle.

Lady Aberdeen et Mme Vanier, comme d’autres épouses vice-royales tout au long de l’histoire, ont montré comment le bureau du gouverneur général pouvait contribuer au changement social et à la reconnaissance des contributions distinctes des femmes.

La reconnaissance accrue des femmes a également gagné d’autres domaines. Pendant que l’Institut Vanier décrivait l’évolution des familles dans notre culture moderne, des experts juridiques décidaient d’une rémunération équitable pour la contribution domestique des femmes au foyer.

C’était le début du droit de la famille que nous connaissons aujourd’hui. Les femmes qui ont été juges à la Cour suprême ont été des pionnières du domaine. Et je tiens à souligner que trois de ces neuf juges, dont la remarquable juge en chef Beverley McLachlin, sont des femmes.

Bien que les délibérations légales aient mis l’accent sur le divorce et la distribution des biens, elles ont contribué à souligner, du point de vue du droit de la famille, le fardeau inéquitable imposé aux femmes en lien avec les responsabilités familiales et domestiques.

Cela a pour conséquence d’influer sur les ajustements personnels que les femmes doivent faire afin de réussir en dehors du foyer.

Permettez-moi de paraphraser la juge Rosalie Abella, qui commentait sur la répartition équitable des biens en lien avec l’affaire bien connue Moge c. Moge : qu’une femme décide de suivre le modèle « traditionnel » et de rester à la maison, ou le modèle « moderne » et d’occuper un emploi rémunéré, le droit doit assurer, à des fins d’équité et dans la mesure du possible, la prise en compte des inconvénients financiers attachés au soin des enfants.

Il y a des conséquences économiques au fait que les femmes sont en grande partie responsables de s’occuper des enfants ainsi que des personnes malades ou âgées.

En cas de divorce, une femme qui n’avait pas d’emploi rémunéré aura une capacité réduite à gagner sa vie à son retour sur le marché du travail.

Ses choix de carrière seront également réduits vu la nécessité de rester à proximité des écoles, de ne pas travailler tard, de rester à la maison si un enfant est malade, etc.

Un homme qui n’a pas la garde des enfants ne subira aucun de ces inconvénients. Mis à part le divorce, la femme de carrière moderne a une responsabilité plus grande que son homologue masculin en ce qui concerne l’éducation des enfants et la tenue du foyer.

D’une part, nos cinq filles ont adapté leur choix de carrière afin de consacrer davantage de temps à leur famille. D’autre part, elles estiment qu’elles auraient été désavantagées au plan professionnel si elles n’étaient pas retournées sur le marché du travail après leur congé de maternité.

Mon mari se plaît à dire que nos cinq filles possèdent collectivement 16 diplômes. Je lui réponds alors que c’est de la vantardise. Toutefois, même s’il est vrai que les femmes très instruites comme nos filles représentent plus de la moitié des étudiants des facultés de médecine et de droit, elles demeurent peu nombreuses à être reconnues par le Régime canadien de distinctions honorifiques.

Récemment, Anne-Marie Slaughter, ancienne doyenne de la Woodrow Wilson School of Public and International Affairs de Princeton, a publié un article controversé dans le magazine mensuel The Atlantic intitulé « Why Women Still Can’t Have it All. »

Cet article a soulevé un tourbillon de réfutations, d’arguments en faveur et de questions. Elle y décrivait avec honnêteté en quoi son poste de directrice de haut niveau en planification des politiques au Département d’État ne lui procurait pas la souplesse nécessaire pour passer du temps avec son fils adolescent belliqueux et malheureux. Elle a donc décidé de mettre un frein à sa carrière.

C’est cette souplesse au travail, ou la possibilité de réduire la cadence, qui a permis à mes filles de trouver un équilibre entre leur vie familiale et professionnelle.

Lorsque ma deuxième fille a terminé son congé de maternité, elle a accepté le poste de vice-présidente exécutive de Catalyst, une organisation mondiale à but non lucratif vouée à l’élargissement des possibilités pour les femmes et les entreprises.

Lorsqu’elle a appris que je venais vous parler de la reconnaissance des femmes, elle m’a écrit ce qui suit par courriel : « Si une femme est vice-présidente exécutive, qu’elle encadre un groupe de jeunes talents, qu’elle élimine les obstacles pour les femmes des générations à venir, qu’elle est la principale responsable des soins donnés à ses deux enfants, qu’elle aide son père à s’adapter à la vie en maison de soins infirmiers, le moment venu, qu’elle siège à des comités communautaires, etc., elle apporte une valeur énorme à son pays. Elle mérite un Prix Nobel. » [Traduction]

Considérant l’éventail des expériences et des réalisations des femmes tout au long de l’histoire, je me demande pourquoi nous sommes sous-représentées de la sorte.

Il n’y a pas de raison unique qui explique cette sous-représentation. Est-ce que ces chiffres reflètent la stigmatisation des femmes qui suspendent leur carrière pour s’occuper de leur famille, comme nous en avons parlé plus tôt?

L’éventail complet du travail réalisé par les femmes ne serait-il pas digne d’une distinction nationale, y compris l’Ordre du Canada? Les recherches populaires démontrent qu’une grande proportion des femmes consacrent leur temps, leurs talents et leurs ressources à la promotion des droits, des possibilités d’emploi et de la sécurité des femmes.

Les hommes n’ont pas à faire leur propre promotion. La société le fait pour eux. Ce n’est que depuis récemment que l’on sent le besoin de défendre les intérêts des jeunes garçons qui réussissent moins bien que les filles. Pourtant, la défense de la cause des jeunes femmes, des droits des femmes et de l’égalité fait partie intégrante de l’histoire féminine au pays. De toute évidence, il reste encore beaucoup à faire pour atteinte la juste reconnaissance.

Finalement, se peut-il que l’absence de reconnaissance reflète simplement notre hésitation à claironner nos propres capacités? Si c’est le cas, comment nos réalisations peuvent-elles être soulignées?

On croit à tort que les membres de l’Ordre du Canada doivent être très connus ou avoir obtenu du succès à l’échelle nationale.

Les membres de l’Ordre du Canada ont changé des vies partout dans le monde, à petite et à grande échelle, travaillant dans leur communauté pour améliorer la vie de leurs amis et voisins.         

Lors de son installation, mon mari a lancé un appel en faveur d’une nation plus avertie et bienveillante. À cette fin, il a établi trois piliers à l’appui de cette vision, à savoir l’apprentissage et l’innovation, le bénévolat et la philanthropie, ainsi que les enfants et les familles.

En ce qui concerne le pilier général des enfants et des familles, j’ai accordé une attention particulière à la santé mentale. J’espère profiter de mon temps à Rideau Hall, comme d’autres l’ont fait avant moi, pour laisser ma marque dans ce domaine.

Les femmes font partie intégrante de cette vision, de cette nation avertie et bienveillante, et nous devons faire davantage pour reconnaître ce qu’elles font, ce que vous faites. Il y a place à l’espoir.

Si l’on regarde le nombre de Compagnons de l’Ordre du Canada nommés dans les 45 dernières années, on constate que seulement 16 pour cent étaient des femmes.

Cependant, si l’on s’attarde au nombre de Compagnons toujours en vie, donc à ceux qui ont été nommés plus récemment, on voit qu’ils représentent près de 30 pour cent.

L’an dernier, l’une des récipiendaires intronisées au grade de Membre avait 103 ans! C’est donc dire que même l’âge n’est pas obstacle.

Cela m’indique que nous nous dirigeons graduellement vers un régime de distinction plus équilibré, où les hommes et les femmes sont égaux, où de plus en plus de femmes sont mises en candidature pour les contributions distinctes et exceptionnelles qu’elles apportent à nos communautés, à notre pays, à notre monde.

Malgré ces avancées, je pense que nous pouvons faire beaucoup plus.

Regardons de plus près les statistiques de l’Ordre du Canada.

Comme je l’ai indiqué, les Canadiens sont moins portés à proposer la candidature de femmes à l’Ordre du Canada. Toutefois, la proportion de femmes sélectionnées pour recevoir cette distinction est légèrement plus élevée que celle des hommes.

Il se peut que le problème découle du nombre insuffisant de mises en candidature, problème que l’on peut régler en encourageant les Canadiens à proposer davantage de femmes. Cette solution exigerait des efforts concertés et soutenus.

Je me présente devant vous, non pas avec toutes les réponses, mais en sachant que nous devons nous montrer plus proactifs en matière de reconnaissance. Regardez autour de vous et demandez-vous si quelqu’un n’aurait pas été oublié.

Nous devons défendre nos propres intérêts. Les femmes jouent un rôle monumental dans l’évolution du pays et les changements sociétaux, un rôle digne de mention.

Dans cinq ans, nous soulignerons non seulement le 150e anniversaire de la Confédération, mais également le 50e anniversaire de l’Ordre du Canada.

Pourquoi ne pas en profiter pour offrir un cadeau spécial au Canada et reconnaître à plus grande échelle le rôle inspirant et la sagesse des femmes dans la création d’un pays meilleur?

J’espère qu’avec le temps, les femmes occuperont une plus grande place dans le Régime canadien de distinctions honorifiques. Nous comptons sur vous pour nous aider à provoquer ce changement. Les défis ne vous font pas peur et vous savez tous une chose ou deux à propos du changement. Je suis convaincue que votre participation active pourra faire du Canada un pays plus juste et équitable. Il me tarde de voir ce que vous ferez pour le Canada à l’avenir.

Merci.