Discours liminaire devant les membres des conseils d’administration des universités de l’Ontario

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Toronto (Ontario), le samedi 9 novembre 2013

 

Permettez-moi de commencer en vous remerciant tous d’être ici aujourd’hui. Votre présence témoigne de votre engagement à l’égard de l’enseignement supérieur, ici même dans cette province et au-delà de ses frontières.

Dans le cadre de mes observations aujourd’hui, il y a trois choses que j’aimerais pouvoir faire en vue d’ajouter ma perspective face aux questions que vous vous posez à l’occasion de cette conférence : à quoi devraient songer les conseils universitaires à l’heure actuelle? Que réserve la prochaine décennie?

Premièrement, j’aimerais souligner l’importance de votre rôle à titre de gouverneurs d’université et peut-être redéfinir ce rôle avec vous.

Deuxièmement, j’aimerais aborder cinq questions qui sont tout particulièrement pertinentes et importantes pour chacun de vous en tant que gouverneurs qui contribuent à définir la vision des universités. La vision est justement une métaphore clé qui s’applique fort bien à nos discussions.

Bref, ces questions sont les suivantes :

  1. Pouvons-nous concilier égalité des chances et excellence? En d’autres mots, les universités ontariennes peuvent-elles à la fois voir grand et en profondeur?
  2. En cherchant à voir grand, pouvons-nous en profiter pour nous ouvrir sur l’extérieur au-delà de nos limites?
  3. Comment pouvons-nous accueillir le changement et insuffler un sens de réinvention et de renouvellement? Pouvons-nous entrevoir l’avenir?
  4. À l’intérieur même de cette question, que faire pour renouveler notre vision de notre approche particulière en matière d’apprentissage? Nous en avons appris tellement sur nos modes d’apprentissage au cours des 20 dernières années. Comment les universités mettent-elles ces connaissances en application au profit de tous les citoyens?
  5. Finalement, comment pouvons-nous voir clairement ce qui se passe chez nous pour assurer que les étudiants vivent des expériences à la fois stimulantes, vivifiantes et agréables?

Comme vous l’avez peut-être remarqué, le thème central de chacun de ces cinq points est l’idée de la vision qui est en lien avec votre rôle de visionnaires au sein de vos établissements respectifs.

Troisièmement, l’autre chose que j’aimerais faire à l’occasion de mon allocution est en fait de la garder assez brève pour que nous puissions rapidement engager la conversation et tous apprendre les uns des autres.

Ou comme ma grand-mère le disait : lève-toi pour te faire voir, parle fort pour te faire entendre et assieds-toi pour te faire apprécier!

Voici donc quelques courtes réflexions sur vos rôles en tant que gouverneurs d’université.

À mon avis, le terme « gouverneur » n’est pas le terme plus juste. Il laisse entendre que vous supervisez ou gouvernez chaque aspect de vos universités, ce qui est bien sûr inexact.

En passant, le premier conseil d’administration dont j’ai fait partie — à Harvard — utilisait le terme « superviseur » qui était encore moins approprié compte tenu des multiples connotations historiques négatives qu’il véhiculait.

Même si vous n’êtes pas des « gouverneurs » au sens strict du terme, vous assumez tout de même une responsabilité globale à l’égard du bien-être de l’université ainsi que de ses étudiants et de son personnel.

Le terme « mandataire » aurait pu s’avérer plus approprié étant donné qu’on vous a confié le mandat de vous acquitter de cette responsabilité importante. Vous n’êtes pas rémunéré pour ce travail et bon nombre d’entre vous ne représentent probablement pas une circonscription particulière. La plupart d’entre vous êtes des anciens et des membres de la communauté et vous voulez vous consacrer à la cause de l’enseignement supérieur dans cette province. Si vous venez d’une circonscription, vous vous intéressez à l’université dans son entièreté.

Vous êtes désintéressés, dans le sens le plus noble du terme.

Le terme « mandataire » évoque aussi un sentiment de confiance et de responsabilité quant au cadre éthique de l’institution — un devoir dont l’importance ne saurait être sous-estimée.

Et en tant que mandataire, vous devez surtout avoir une bonne compréhension de la solidité et de la pérennité de l’université et de son avenir au sein de votre communauté.

Lorsqu’il est question de confiance, je pense toujours à ce bon mot que Mark Carney m’a un jour dit :

La confiance arrive à pied, mais repart en Ferrari.

Vous êtes tous réunis ici un samedi matin parce que vous tenez à être plus efficace dans l’exercice de vos fonctions. J’aimerais saluer votre leadership. C’est vous qui établissez les normes du succès de votre établissement.

Permettez-moi maintenant de retourner aux cinq questions qui traitent de la nécessité d’adopter une vue d’ensemble, et de vous entretenir aussi de vos responsabilités pour ce qui est de façonner et d’incarner les visions de vos établissements respectifs.

D’abord, en ce qui concerne l’égalité des chances et l’excellence : pouvons-vous obtenir les deux à la fois, pouvons-nous voir les choses à la fois globalement et en profondeur?

Ces deux objectifs devraient être complémentaires et non pas divergents.

En ce qui concerne l’égalité des chances, ou l’accessibilité à l’éducation postsecondaire, le Canada a travaillé fort et obtenu de bons résultats. Dans ma vie, j’ai vu le nombre de personnes ayant un diplôme d’études postsecondaires passer d’environ 25 p. cent à plus de 75 p. cent. C’est un triomphe pour les universités canadiennes!

Cependant, les nouvelles ne sont pas toutes positives. Les études postsecondaires ne sont pas à la portée de tous. Vous connaissez peut-être l’étude de l’OCDE qui classait les pays membres en fonction de l’accessibilité — plus particulièrement en fonction de la mesure dans laquelle les enfants atteignaient ou dépassaient les niveaux de scolarité de leurs parents.

Le classement a été présenté par quintiles. En tenant compte des étudiants se trouvant dans les premiers 80 pour cent du groupe, le Canada se situait au premier rang quant au nombre d’étudiants qui avaient égalé ou surpassé le niveau de scolarité de leurs parents.

Cependant, en ce qui concerne les autres 20 pour cent des étudiants, le Canada se situait dans le tiers inférieur parmi les pays membres de l’OCDE. Ces chiffres nous révèlent qu’une part importante de nos citoyens ont moins facilement accès à l’éducation que leurs parents et cela nous indique aussi que nous pouvons faire mieux.

Du côté de l’excellence, le Canada réussit assez bien, mais pourrait là aussi faire mieux.

À ce propos, j’aimerais faire ressortir l’importance de viser haut et de célébrer les réalisations pour créer une culture d’excellence.

L’une des plus grandes fiertés du Canada est sans aucun doute d’avoir vu naître sur son sol au cours des 50 dernières années une communauté de chercheurs et de créateurs d’envergure internationale.

Il importerait cependant de nous poser la question de savoir si le monde dans son ensemble et nous, en tant que nation, savons reconnaître le talent qui existe au Canada à l’heure actuelle? Célébrons-nous le travail de nos plus grands savants et l’esprit de découverte et de réflexion critique qui les anime? Leur succès rayonne-t-il dans le monde entier?

À cet égard, notre bilan laisse quelque peu à désirer. Comme le Conseil des sciences, de la technologie et de l’innovation l’a fait ressortir, les Canadiens remportent, en fait, une part disproportionnée des prix internationaux. Nous réussissons particulièrement bien dans les domaines de l’environnement, de la médecine et de la technologie. Ce sont là des succès importants, qu’il n’y a pas lieu de sous-estimer.

Par contre, quand il s’agit des plus hautes distinctions – le prix Nobel (exception faite de la récente nomination d’Alice Munro en littérature), le prix Wolf et la médaille Fields, par exemple – notre pays fait plutôt pâle figure. Au cours de la période de 1941 à 2008, des Canadiens ont reçu 19 des principaux prix scientifiques internationaux – il s’agit certes d’un exploit assez impressionnant, mais un peu moins si l’on se compare, en tenant compte du nombre d’habitants, aux États-Unis (1 403 lauréats), au Royaume-Uni (222), à la France (91), à l’Allemagne (75) et à l’Australie (42).

Il convient aussi de faire état de notre classement parmi les universités du monde. Comme vous le savez, on trouve plusieurs palmarès du genre, et je vais donc en retenir un, simplement à titre d’illustration : le classement international des universités de Times Higher Education.

Dans ce palmarès, le Canada compte trois universités parmi les 40 premières — l’Université de Toronto y figure au 20e rang tandis que l’Université de la Colombie-Britannique et l’Université McGill occupent respectivement les 31e et 35e places.

Pour ce qui est des 40 premières positions, le Canada se compare avantageusement à l’Australie et aux Pays-Bas, par exemple. Il est intéressant de noter cependant que ces deux pays, dont les populations sont notablement inférieures à la nôtre, font mieux que nous dans les 100 premières places. Les Pays-Bas ont huit universités dans cette catégorie supérieure, tandis que l’Australie en compte cinq et le Canada seulement quatre.

Ces classements ne sont pas parfaits cependant. Leurs critères sont très précis et peuvent par exemple favoriser des établissements centenaires disposant de grandes bibliothèques. Néanmoins, les classements peuvent servir à développer notre sens critique relativement à nos établissements et à leur image à l’étranger. Ils nous laissent entrevoir aussi des réalités générales, mais importantes : par exemple, compte tenu de la présence de 15 universités américaines dans le groupe des 20 premières au monde, je ne serais certainement pas porté à mettre en doute la capacité des États-Unis à continuer d’exercer une influence prépondérante sur le plan intellectuel dans le monde.

À titre de mandataires, je vous demanderais ceci : quels départements de vos universités respectives ont une envergure mondiale? Et tirez­-vous parti de leur excellence pour faire rayonner leurs succès et pratiques exemplaires sur les autres départements? Y a-t-il des moyens par lesquels votre université peut mieux mettre à profit les prix et récompenses pour favoriser l’excellence?

Aspirer à l’excellence est une quête importante, non seulement en soi, mais aussi pour mener toute la communauté vers le haut pour obtenir globalement une meilleure qualité et une plus grande accessibilité.

Je suis récemment revenu de mes visites d’État en Chine et en Mongolie, où j’ai eu l’occasion de repenser à la façon dont le savoir est transmis d’une société à l’autre, de nos jours comme par le passé.

D’abord, un peu d’histoire pour parler de la contribution méconnue de Gengis Khan à la civilisation occidentale.

Aux yeux de nombreux Occidentaux, Genghis Khan serait généralement perçu comme un improbable dispensateur de savoir et de sagesse. Et pourtant j’en ai appris beaucoup sur ce chef mongol avant et pendant ma récente visite en Mongolie. La conquête mongole de toutes les terres allant de l’océan Pacifique à l’est de Vienne dans le monde occidental a donné l’occasion à Gengis Khan et à ses descendants de transmettre des connaissances, des idées et de nouvelles inventions — l’étrier, la boussole, la poudre à fusil et la presse à imprimer — à des peuples du vaste territoire de l’Asie et de l’Europe de l’Ouest.

Les savants commencent à peine à décortiquer la nature complexe des processus de la découverte et de la propagation des idées dans les sociétés humaines. La notion selon laquelle le siècle des Lumières pourrait avoir été impulsé en partie par l’ingéniosité des Mongols peut nous sembler inédite, mais elle correspond tout à fait à ce que nous découvrons maintenant sur la façon dont les idées se propagent et les civilisations prospèrent ou déclinent en fonction de leur capacité à évoluer dans la créativité.

Cette histoire peut vous sembler fort intéressante en général, mais elle nous offre en outre l’occasion de démontrer que le succès des universités ontariennes repose indéniablement sur leur capacité à suivre attentivement l’évolution des activités d’apprentissage qui sont menées dans le monde entier. Une nation intelligente et florissante s’ouvre sur le monde avec confiance et respect et recherche le dialogue et les échanges pour en tirer des avantages mutuels.

Pour citer le comité consultatif sur la stratégie du Canada en matière d’éducation internationale, présidé par Amit Chakma :

« Il est important (…) que les Canadiens se rendent pleinement compte des avantages que l’éducation internationale offre au Canada. Dans une économie mondiale axée sur le savoir, la façon dont nous gérons l’éducation internationale influera sur l’évolution de notre prospérité économique ainsi que sur notre place dans le monde. »

Je vous encourage à jeter un coup d’œil sur les recommandations du comité consultatif et à envisager comment votre université pourrait y donner suite.

Plus près de chez nous, il y a une autre façon de nous tourner vers l’extérieur : l’établissement de partenariats au sein de vos communautés, notamment au moyen de programmes d’enseignement coopératif et d’apprentissage expérientiel.

La troisième question que je pose est la suivante : pouvons-nous entrevoir l’avenir? Comment faire pour nous réinventer et renouveler notre approche en matière d’apprentissage pour que l’enseignement postsecondaire demeure pertinent?

Ce qui est sûr, c’est que nous devons absolument nous renouveler. Les changements ne font pas que survenir, ils s’accélèrent.

Comme vous le savez, les nouvelles technologies ont déjà comme effet de transformer nos façons d’apprendre. L’émergence des cours en ligne ouverts et massifs (CLOM), par exemple, est une réalité bien concrète dans le monde actuel de l’éducation. L’apprentissage en ligne ne remplacera pas les universités, mais les communications numériques peuvent compléter notre enseignement et rehausser l’expérience d’apprentissage des étudiants et des chercheurs.

Grâce aux nouvelles technologies des communications, nous disposons d’une toute nouvelle façon d’échanger et de transmettre de l’information. Les CLOM ne sont qu’une des multiples façons d’en tirer profit, et nous devons tous nous préparer et nous adapter au changement et trouver des moyens de le mettre au service de notre apprentissage.

J’aimerais aussi parler de ce qui découle peut-être de la nécessité de pouvoir « entrevoir l’avenir » en posant la quatrième question : pouvons-nous voir les choses sous un regard neuf à l’intérieur même de notre esprit et dans notre façon d’apprendre?

Permettez-moi de vous faire part d’un fait étonnant : au moins 80 pour cent de ce que nous savons aujourd’hui au sujet du cerveau a été appris au cours des 20 dernières années. Nous comprenons mieux que jamais le fonctionnement du cerveau, et j’imagine que dans les années à venir, les établissements d’enseignement qui auront été en mesure d’adapter leurs méthodes à nos processus d’apprentissage les plus efficaces seront ceux qui connaîtront le plus de succès.

Prenez, par exemple, les récentes avancées dans notre compréhension du cerveau et de l’importance de l’activité physique dans l’apprentissage. Des chercheurs ont démontré qu’une piètre condition physique affaiblissait les connexions entre les neurones et rétrécissait l’hippocampe qui joue un rôle essentiel relativement à l’apprentissage et à la mémoire.

Selon une récente étude publiée dans le New Scientist, l’exercice physique chez les personnes âgées aurait pour effet d’augmenter la taille de l’hippocampe et de restaurer la communication neuronale dans l’ensemble du cerveau à un niveau d’efficacité comparable à celui d’une personne de 30 ans. Un programme d’exercice léger donnerait lieu à une stimulation de la capacité cognitive et de la capacité de concentration — deux éléments clés de l’apprentissage.

Les implications de ces constatations sont importantes, particulièrement si l’on tient compte de l’incidence de l’obésité et des maladies cardiovasculaires dans notre société.

En tant que citoyens soucieux de l’apprentissage, nous ne pouvons pas nous permettre d’écarter ces conclusions et les nombreuses autres découvertes qui démontrent les associations entre l’esprit et le corps. Nous devons tenir compte du corpus de plus en plus volumineux de recherches sur le thème de nos modes d’apprentissage.

Cinquième et dernière question : comment pouvons-nous adopter une vision claire à l’intérieur de nos universités pour veiller à ce que l’expérience des étudiants soit à la fois stimulante, vivifiante et agréable?

En d’autres mots, je tiens ici à souligner l’importance de faire en sorte que nos campus soient des endroits où les étudiants se sentent bien, en plus de se voir offrir des occasions et des défis stimulants pour favoriser leurs apprentissages.

Encore une fois, il ne s’agit pas de choisir entre deux possibilités — nous devons choisir les deux.

Nous ne devons pas toutefois tenir cette réalité pour acquise, car voir à ce que nos campus soient des milieux attentionnés et accueillants est à la fois la bonne chose à faire et la plus sensée.

Permettez-moi de conclure en réaffirmant l’importance d’adopter une vue d’ensemble, comme E.B. White l’a proposé, dans notre démarche d’apprentissage. Nous pouvons y parvenir en nous posant constamment les questions suivantes :

Voyons-nous grand et en profondeur, et voyons-nous à privilégier l’égalité des chances et l’excellence?

Voyons-nous assez grand, en nous ouvrant vers l’extérieur sur la communauté, sur l’ensemble du pays et sur le monde dans son ensemble?

Savons-nous entrevoir l’avenir et nous préparer en vue des changements à venir?

Voyons-nous les nouvelles réalités qui se dégagent de l’apprentissage de nos modes d’apprentissage, notamment en tenant compte des dernières recherches sur le fonctionnement du cerveau?

Voyons-nous la qualité de vie qui règne chez nous sur nos propres campus, et veillons-nous à ce qu’ils soient des milieux non seulement bien pensés, mais aussi attentionnés pour les étudiants.

En tant que mandataires des universités très importantes et impressionnantes de l’Ontario, vous apportez une contribution réelle à l’amélioration de nos apprentissages et de notre bien-être. Vous incarnez et définissez notre vision, et j’aimerais encore une fois vous remercier de vos efforts.

Je vous souhaite une conférence enrichissante et productive.