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Toronto, le jeudi 7 novembre 2013
Je suis enchanté de me trouver ici de bon matin avec un si grand nombre de collègues.
Je vous considère mes collègues ayant été moi-même professeur, doyen et recteur pendant presque un demi-siècle. Comme vous, j’ai passé de nombreuses et merveilleuses journées enrichissantes à observer les façons dont les gens de tous les âges acquièrent, élargissent et mettent à profit leurs connaissances. En fait, même si depuis quelques années, j’occupe maintenant un poste de nature bien différente, je garde toujours au fond de moi mon âme d’universitaire.
Il y a plusieurs mois, j’ai eu une longue discussion avec Harvey, au cours de laquelle je lui ai dit à quel point je souhaitais me trouver ici avec vous pour cette conférence. Je suis un grand admirateur du Conseil pour deux raisons principales : d’abord, parce qu’il parraine des recherches qui ont donné lieu à des découvertes utiles qui ont contribué à accroître l’accessibilité, la qualité et le sens des responsabilités des établissements d’enseignement supérieur de l’Ontario; et ensuite, parce qu’il organise certaines des rencontres et des événements les plus porteurs de réflexions stimulantes.
D’ailleurs, comme on pouvait s’y attendre, le Conseil a trouvé un thème fort intéressant pour la conférence de cette année. « Au-delà des mots à la mode » donnera le ton parfait à vos discussions au cours des deux prochains jours. Les mots à la mode ne sont pas seulement dépourvus d’imagination; ils embrouillent le sens, font obstacle à la compréhension et peuvent même nous retarder ou nous bloquer dans la prise de mesures constructives.
Donc, dans l’esprit de notre thème, je vous promets de ne pas parler de changements de paradigme audacieux que nous pourrions utiliser pour repousser les frontières de l’enseignement supérieur et lui donner un nouvel élan. Le Conseil m’a plutôt invité à inaugurer la conférence en vous faisant part de mes impressions personnelles sur l’avenir de l’enseignement supérieur.
Permettez-moi de commencer en vous avouant humblement mon manque total de prescience absolue. En effet, je ne peux pas vous dire exactement quelle sera la situation de l’enseignement supérieur au cours de la génération à venir.
Le monde mécanique que Newton nous a révélé il y a des siècles et qui a inspiré les méthodes d’apprentissage que nous avons connues lorsque nous étions sur les bancs d’école cède maintenant le pas à notre monde numérique actuel — qui transforme nos façons de vivre et de travailler et, du même coup, d’apprendre.
Ainsi, les rôles des enseignants et des étudiants perdent leur sens traditionnel; les activités d’apprentissage deviennent plus souples, fluides, imprévisibles et interactives; et les technologies émergentes et les applications connexes créent d’innombrables possibilités de relations entre tous les apprenants tout en procurant à une multitude de nouveaux apprenants un accès aux meilleurs enseignants des meilleures écoles.
Il s’agit toutefois simplement d’orientations générales et non pas de cheminements clairement balisés. Je ne peux pas vous exposer tous les problèmes précis auxquels vous serez confrontés, ni vous fournir avec certitude toutes les réponses exactes qu’il vous faudra.
Un personnage de la série télévisée À la Maison Blanche a bien exprimé toute l’étendue de ce vaste concept : « L’éducation est la panacée. Elle est à la base de tout. Il ne faut pas de petits changements. Il faut apporter des changements révolutionnaires monumentaux.
La concurrence pour obtenir les meilleurs enseignants devrait être féroce et les écoles devraient être des palais — incroyablement coûteux pour les gouvernements, mais tout à fait gratuits pour les citoyens. Le seul hic, c’est que je n’ai pas encore trouvé le moyen d’y parvenir. »
Une vérité fondamentale se dégage de cette citation. Nous ne devrions pas nous fier à une seule personne pour nous fournir toutes les réponses. Personne ne le peut vraiment. Je ne suis pas un devin.
Et intrinsèquement, je me méfie de toute personne qui pense avoir toutes les réponses. L’enseignement supérieur est simplement trop complexe pour que les meilleures approches puissent émaner d’une seule personne ou même d’un seul groupe d’un pays ou même d’une région du monde.
Cependant, il est possible de trouver des réponses intelligentes pour faire en sorte que l’enseignement supérieur procure aux étudiants une expérience plus enrichissante, valorisante et satisfaisante.
La meilleure façon de trouver ces réponses — je dirais même la seule façon — consiste à travailler en transcendant les disciplines universitaires et professionnelles ainsi que les frontières régionales et internationales pour découvrir, échanger, évaluer et perfectionner nos savoirs sur l’enseignement supérieur — c’est ce que j’appelle la diplomatie du savoir.
La brillante métaphore de la bougie allumée employée par Thomas Jefferson demeure, à mon sens, la meilleure façon d’illustrer ce concept de la diplomatie du savoir et de son incroyable puissance. La bougie allumée symbolise non seulement la lumière, mais aussi la transmission du savoir acquis d’une personne ou d’un groupe à l’autre.
Si vous allumez une bougie avec la flamme d’une autre, cette autre bougie n’en est pas moins lumineuse. Au contraire! Les flammes des deux bougies apportent un éclairage encore plus grand sur tout ce qui les entoure. En physique, ce phénomène s’appelle candéla, la puissance de la bougie.
L’histoire nous donne des exemples bien concrets de cette candéla, de l’apport précieux du travail concerté au-delà des disciplines et des frontières. Pensez à Léonard de Vinci, à la fin du 15e siècle et au début du 16e. Ce génie de la Renaissance a fusionné plusieurs disciplines des arts et des sciences pour interpréter et révéler le savoir et ainsi faire avancer la compréhension humaine.
Pensons maintenant à Zheng He, au début du 15e siècle. Cet explorateur de la ville portuaire de Nanjing — qui a été l’une des principales étapes de ma récente visite d’État en Chine — a profité des expéditions intercontinentales de ses flottes pour partager le savoir chinois avec des peuples du monde entier.
Ses flottes se sont rendues dans des coins reculés de l’Afrique de nombreuses décennies avant que Vasco de Gama quitte le Portugal pour explorer certaines régions côtières de ce continent — et Zheng He avait, en outre, une plus grande distance à parcourir. Certains savants estiment même que les navires de Zheng He ont accosté les rives des Amériques de nombreuses années avant Colomb et ont fait le tour de la planète des décennies avant Magellan.
Que dire maintenant de Gengis Khan, au début du 13e siècle, — un dispensateur de savoir et de sagesse improbable s’il en est un, du moins en apparence. Et pourtant j’en ai appris beaucoup sur ce chef mongol avant et pendant ma récente visite en Mongolie.
La conquête mongole de toutes les terres allant de l’océan Pacifique à l’est de Vienne dans le monde occidental a donné l’occasion à Gengis Khan et à ses descendants de transmettre des connaissances, des idées et de nouvelles inventions — l’étrier, la boussole, la poudre à fusil et la presse à imprimer — à des peuples du vaste territoire de l’Asie et de l’Europe de l’Ouest.
Nous commençons maintenant à peine à découvrir que bon nombre des idées de Léonard de Vinci, ainsi que l’ère de découvertes, d’inventions et de développement du savoir qu’il a contribué à impulser, pourraient fort bien avoir été stimulées par l’ingéniosité des Mongols et des Chinois. Au fond, il s’agit essentiellement de trois hommes très différents, de cultures et de milieux très différents, qui ont transcendé les disciplines et les frontières pour engendrer certaines des plus grandes avancées de la civilisation humaine.
Le succès des collèges et des universités de l’Ontario — et des étudiants qui les fréquentent — repose maintenant, et encore plus dans les années à venir, sur la mesure dans laquelle nous sommes disposés à créer des liens avec les établissements d’enseignement supérieur du monde entier et à en explorer les diverses méthodes d’enseignement et d’apprentissage.
Je suis moi-même un produit de ce type de liens : j’ai vécu mes deux premières expériences à l’université à l’étranger au sein de deux prestigieuses institutions d’enseignement supérieur. Je crois que ma contribution la plus utile à l’enseignement supérieur, durant mes 27 années comme président d’université et cinq années comme doyen d’une faculté de droit, aura été d’apporter un jugement élargi et une curiosité permettant de voir les choses en entier, sous un nouveau jour.
Cette vision du monde, et de ma place dans celui-ci, s’est dessinée alors que je travaillais à mes deux premiers diplômes, aux États-Unis et au Royaume-Uni, même si je savais fort bien que le Canada était ma destinée, mon foyer.
Par la suite, lorsque je suis devenu doyen, principal et président d’université, j’ai misé sur cette compréhension pour voyager abondamment et conclure des alliances avec de nombreux collèges et universités pour que des étudiants canadiens puissent tirer parti des mêmes expériences que j’ai vécues à l’étranger, aussi pour que des étudiants étrangers puissent vivre le même genre d’expériences au Canada et enfin pour que des professeurs du Canada et de l’étranger puissent participer à des activités de recherche et d’enseignement au-delà des murs de leurs établissements respectifs.
Ce travail a-t-il pris fin lorsque j’ai accepté mes fonctions actuelles? Non. Mon discours d’installation s’intitulait « Une nation avertie et bienveillante : l’appel du devoir ». L’apprentissage et l’innovation forment l’un des piliers d’une nation avertie et bienveillante. Je les ai donc placés au cœur de mon mandat de gouverneur général.
Par exemple, j’ai parcouru 27 pays pour dire aux gens d’affaires, aux fonctionnaires, aux chercheurs, aux administrateurs d’écoles, aux enseignants et aux étudiants que nous sommes extrêmement fiers du système d’éducation canadien et que les Canadiens veulent travailler, étudier et faire de la recherche avec le reste du monde; et que nous souhaitons voir de plus en plus de citoyens de notre pays et du monde entier échanger leurs connaissances et apprendre ensemble au-delà des frontières disciplinaires et géographiques.
Je me suis rendu au Brésil pour encourager nos deux pays à inspirer leurs citoyens et leurs citoyennes à surmonter les barrières linguistiques qui empêchent nos deux peuples de coopérer encore plus étroitement.
Je suis allé en Afrique du Sud pour inciter les femmes et les hommes de ce pays à se fonder sur notre expertise et nos intérêts communs dans le secteur de l’exploration scientifique pour revigorer l’ensemble des relations entre nos deux nations.
J’ai visité le Mexique afin de discuter avec les gens d’affaires de l’importance du parrainage des échanges bilatéraux dans les secteurs de l’éducation, du sport et de la culture pour briser à jamais les stéréotypes que les Canadiens et les Mexicains entretiennent toujours entre eux.
Au Ghana, j’ai incité les dirigeants, les chercheurs et les enseignants des universités à jouer un rôle de chef de file dans leur pays pour dépasser les frontières nationales dans la recherche de nouvelles idées et solutions pour remédier aux problèmes de l’heure.
Et j’étais en Chine il y a à peine deux semaines où j’ai lancé un appel aux Chinois et aux Canadiens pour qu’ils jouent un rôle de premier plan dans le monde pour favoriser le travail de coopération, au-delà des frontières et des disciplines, en matière d’éducation, de recherche scientifique et d’innovation.
C’est maintenant à vous de jouer. Votre mission consiste à concrétiser ces promesses que j’ai faites en ces lieux et dans plusieurs autres régions du monde.
Si vous êtes un cadre supérieur d’une université ou d’un collège, votre mission consiste à entretenir des liens avec d’autres écoles du monde entier et à donner à vos professeurs, à vos chercheurs et à vos étudiants des occasions d’enseigner, d’étudier et d’apprendre dans de nouveaux milieux — et, en retour, à accueillir dans votre établissement des étudiants, des chercheurs et professeurs venus d’ailleurs.
Moins de huit étudiants des établissements postsecondaires canadiens sur 100 proviennent de l’étranger. Nous pouvons certainement faire mieux que ça, surtout lorsque l’on sait qu’en France, ce nombre se chiffre à 16, et qu’en Australie, il atteint 23.
En revanche, un récent sondage de l’Université Queen’s révèle que moins de 3 étudiants canadiens de premier cycle sur 100 vont étudier à l’étranger.
Comme l’a dit Amit Chakma, le président et recteur de l’Université Western qui dirigeait le Comité consultatif sur la stratégie internationale en matière d’éducation, ce n’est là qu’un faible pourcentage des étudiants qui aimeraient étudier à l’étranger, mais qui ne le font pas parce qu’ils n’ont pas l’argent nécessaire, qu’ils ne satisfont pas aux exigences du grade ou qu’ils ne sont pas au courant des possibilités.
Si vous êtes directeur d’une faculté au sein d’une université ou d’un collège, votre mission comporte trois volets :
Premièrement, assurez-vous de créer des bureaux de planification de carrière dynamiques qui incitent les étudiants à saisir les possibilités de carrière et de travail-études qui s’offrent à eux.
Deuxièmement, voyez à ce que votre faculté mette en valeur la communication et la collaboration à titre de compétences fondamentales requises pour que tous les étudiants puissent développer leur capacité à travailler en étroite collaboration avec divers professionnels de nombreux pays.
Et, troisièmement, veillez à ce que nous tirions pleinement parti des dernières avancées dans les technologies de l’information et des communications, et aussi à ce que nous mettions totalement à profit les dernières découvertes et notions sur les processus et la psychologie du cerveau et ses modes d’apprentissage.
Si vous êtes enseignant ou chercheur, votre mission consiste à voyager, physiquement et au moyen de la technologie, et à établir des liens inédits qui élargissent vos horizons professionnels et procurent des expériences d’apprentissage tangibles à vos étudiants.
Provoquez un chaos créatif et constructif dans vos vies et celles de vos étudiants, particulièrement dans celles des jeunes qui voient l’enseignement supérieur principalement comme une joute obligée ou un obstacle à franchir avant de passer à ce qu’ils veulent véritablement faire dans la vie.
Si vous êtes fonctionnaire dans le secteur de l’éducation, votre mission consiste à encourager et à soutenir une expérimentation intelligente au sein des collèges et des universités pour contribuer à développer, mettre à l’essai et à perfectionner de nouvelles idées en matière d’apprentissage. L’esprit, à l’instar du parachute, fonctionne mieux quand il est ouvert!
Comme l’a dit Oscar Wilde : « Une idée qui n’est pas dangereuse ne mérite pas d’être appelée une idée ». Ne vous inquiétez pas des chemins sur lesquels les nouvelles idées peuvent entraîner les étudiants et les enseignants — tout particulièrement lorsqu’elles leur font prendre des chemins tout à fait inattendus pour vous.
Permettez-moi de mentionner deux des changements les plus importants apportés au système ontarien dans les six dernières décennies : le programme d’éducation expérientielle ou coopérative conçu à l’Université de Waterloo; et l’enseignement de la gestion de cas axée sur les patients offert à McMaster, approche reconnue comme permettant de réaliser des économies, de soulager la pression sur le réseau de santé et d’améliorer les soins aux patients.
Je suis d’ailleurs étonné de constater que ces deux expériences canadiennes en enseignement supérieur ont obtenu beaucoup plus d’attention à l’extérieur du Canada que chez nous.
Cette conférence est l’endroit idéal pour discuter en profondeur d’expériences intelligentes à envisager, décortiquer les nouvelles idées et cerner et célébrer les champions du changement qui défendent l’enseignement supérieur. L’un d’eux, John Baker, est avec nous ce matin. J’ai eu le plaisir de connaître John au moment où il était étudiant au programme d’enseignement coopératif à l’Université de Waterloo.
En fait, John a fondé son entreprise, Desire2Learn, au cours de l’une de ses sessions d’enseignement coopératif en publiant en ligne le cours d’un professeur. Au moment d’obtenir son diplôme, il employait de cinq à dix étudiants du programme d’enseignement coopératif. Et aujourd’hui, dix ans plus tard, toujours logée à l’enseigne du carrefour Communitech au centre-ville de Kitchener, son entreprise compte maintenant autour de 800 employés.
John m’a démontré de façon éloquente que les étudiants d’aujourd’hui nous inciteront à leur fournir les méthodes et les outils d’apprentissage les mieux adaptés à leurs besoins, ou à défaut, comme dans le cas de John, ils verront à créer ces nouveaux outils et méthodes d’enseignement supérieur eux-mêmes.
Les rôles ont été renversés : l’étudiant aide maintenant l’enseignant à repenser l’enseignement supérieur et le rôle que les réseaux en ligne et les technologies numériques jouent pour ce qui est de répondre aux besoins des étudiants en matière d’apprentissage.
Dans cette optique, nous devrions tous demeurer des apprenants même quand nous devenons des chefs de file. C’est effectivement essentiel. Comme l’a si sagement dit le chercheur Martin Palmer, « le secret de la maîtrise en toute chose est de demeurer étudiant à jamais ».
Je vous félicite tous d’être demeurés ouverts à l’apprentissage; de l’ardeur que vous mettrez à repenser l’enseignement supérieur; de votre détermination à aller au-delà des mots à la mode et à explorer des pensées véritablement nouvelles; et, surtout, de votre désir manifeste de travailler tous ensemble ici même et ailleurs dans l’avenir — par-delà les frontières et les disciplines — pour trouver les réponses intelligentes dont nous avons tous besoin pour faire de l’enseignement supérieur une expérience toujours plus enrichissante, gratifiante et satisfaisante pour nos étudiants.
Merci.
