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Montréal, le jeudi 29 novembre 2012
Je suis honorée d’avoir été invitée à participer à la série de conférences Edith Aston-McCrimmon et je suis aussi particulièrement ravie de la présence de sa famille ici aujourd’hui.
Quand je pense à une vie bien remplie, je pense à Edith. Elle devait déjà avoir quatorze ans au moment de ma naissance ce qui veut dire que compte tenu de la différence d’âge, elle aurait pu être ma gardienne d’enfants.
L’École de physiothérapie de McGill a vu le jour afin de répondre aux besoins physiques et psychologiques des soldats blessés au cours de la Deuxième Guerre mondiale. L’engagement de longue date d’Edith à faire évoluer les sciences de la réadaptation a sans doute été alimenté par les lourdes conséquences de cette guerre.
Deux décennies après la fin de cette guerre, nous sommes entrés dans une ère sociale radicalement différente : les années soixante. Le mouvement pour la défense des droits civiques et l’appel du président Kennedy à sortir les personnes handicapées des institutions pour les réintégrer dans la communauté ont contribué à mettre en place une société jeune et dynamique où tout était possible.
C’est à cette époque que j’ai entrepris mes études en physiothérapie et en ergothérapie dans le programme d’études mixte appelé POTS.
Je vous décrirai d’abord l’évolution remarquable de notre profession au cours du siècle dernier, puis le lien entre ma vie et le succès de la profession.
Dans les années 1960, l’importance accordée à la liberté et à l’équité a influencé la science de la réadaptation. Les planificateurs urbains, les architectes, les fonctionnaires et les experts en réadaptation consultaient des physiothérapeutes et des ergothérapeutes pour adapter leur milieu de travail aux besoins des personnes handicapées.
Les services de réadaptation ont amorcé une transition à partir des grandes institutions vers la communauté. Une étape qui fut particulièrement importante dans le cas de l’ergothérapie.
En 1971, le docteur John Bockoven écrivait dans le American Journal of Occupational Therapy : « Il serait dommage que le milieu de l’ergothérapie se contente de continuer à jouer un rôle mineur de second violon dans les grands établissements de santé mentale. »
Ces mots semblent durs, mais le Dr Bockoven essayait d’élargir le mandat des ergothérapeutes pour aller au-delà des arts plastiques. Le respect a engendré une indépendance professionnelle et donné lieu aux pratiques de réadaptation et aux services communautaires que l’on connaît aujourd’hui.
La pratique croissante d’une éthique fondée sur la liberté et l’équité a permis de remettre en question notre façon de traiter les enfants. Bien que cela ait pris quelques décennies à se concrétiser, les enfants obtiennent maintenant des diagnostics de troubles d’apprentissage plutôt que d’être simplement étiquetés comme mal élevés.
Il s’agissait là d’un pas de géant pour repenser les écoles et les programmes scolaires de manière à faire ressortir le meilleur de chaque enfant. On fermait alors des écoles spéciales tandis que les enfants handicapés étaient intégrés aux écoles régulières. Pendant cette période, j’ai travaillé comme ergothérapeute au Crippled Children’s Centre, qui est maintenant l’hôpital de réadaptation pour enfants Holland Bloorview, et plus tard j’ai exercé les mêmes fonctions à Kingston dans un centre psychiatrique pour les enfants.
Les années soixante-dix ont aussi donné lieu à une collaboration entre les thérapeutes et les ingénieurs dans le secteur de la prothétique qui a permis de réaliser de grandes avancées pour atténuer les effets dévastateurs de la thalidomide, le médicament qui soulageait les femmes enceintes de la nausée, mais qui privaient leurs bébés de leurs membres.
Le coureur Pistorius est un excellent exemple de l’état d’avancement actuel de la prothétique avec ses lames de carbone flexibles qui lui servent de pieds prothétiques. De nombreux soldats amputés peuvent maintenant skier, jouer au soccer et pratiquer une multitude de sports à l’aide de membres manufacturés légers et flexibles.
Je crois fort bien que certains d’entre vous ont déjà fait du bénévolat pour le programme Sans limites, un formidable programme de réadaptation sportive.
Comme ce fut le cas dans mon temps, l’exercice du métier de physiothérapeute ou d’ergothérapeute offre toujours aujourd’hui des possibilités stimulantes.
J’aimerais vous parler un peu de ma vie personnelle. Malgré mon diplôme en physiothérapie et en ergothérapie et mon bel enthousiasme, j’ai coupé court à ma carrière, contrairement à Edith. J’ai eu cinq filles en peu de temps, la dernière ayant vu le jour à London, en Ontario.
À trente-quatre ans, j’avais cinq filles de moins de sept ans. Trois d’entre elles étaient encore aux couches.
David était le doyen de la faculté de droit de l’Université Western et pleinement engagé dans sa carrière. Parfois, je regardais la corde à linge par la fenêtre de la cuisine et je me demandais ce que j’allais bien pouvoir faire pour soutenir le rythme.
La réalité pure et simple, c’était que je me sentais fatiguée. J’ai réalisé que si je ne cherchais pas avec mon médecin de famille des solutions pour améliorer ma santé, je n’allais pas avoir l’énergie de quitter la maison.
Mon médecin m’a fait suivre un régime de santé qui, au bout du compte, m’a amenée à courir huit kilomètres six jours par semaine. Certains jours, je passais par son bureau, le saluais rapidement et poursuivais mon chemin. D’une certaine façon, c’était à moi de gérer ma propre réadaptation.
Par un heureux concours de circonstances, c’est à ce moment que l’Université Western a lancé un programme d’études pour les physiothérapeutes déjà détenteurs d’un diplôme. En tant qu’étudiante adulte d’expérience, j’étais enthousiaste à l’idée de retrouver le monde de la réadaptation qui offrait encore une fois de nouvelles possibilités d’innovation.
Les effets des chaussures à talon négatif sur les douleurs lombaires, les cliniques de réadaptation pour les cadres supérieurs après une crise cardiaque, et les incidences de la claudication sur la consommation d’oxygène comptaient parmi les domaines d’études et de recherche des ergothérapeutes et des physiothérapeutes au cours des années soixante-dix.
En 1979, notre famille a déménagé de London à Montréal, où David est devenu recteur de l’Université McGill. Le bien-être est devenu le mantra de la famille et peu après, toute la famille Johnston arpentait le campus de McGill à la course.
À l’occasion d’une course Terry Fox, nos deux plus jeunes ont été photographiés alors qu’elles couraient pieds nus.
Nos filles n’avaient pas encore 11 ans lorsque nous avons déménagé à Montréal. Elles ne parlaient pas un mot de français. Elles utilisaient des cartes que je leur avais préparées pour demander les toilettes. Trois de mes filles ont dû répéter leur année scolaire afin d’atteindre un niveau acceptable en français. Puisqu’elles ont grandi à Montréal, elles parlent maintenant plusieurs langues, en plus de l’anglais et du français.
Ma vie familiale a été fort mouvementée après notre arrivée à Montréal. Malgré cela, je ne voulais pas abandonner ma vie professionnelle dans le secteur de la réadaptation après avoir obtenu mon baccalauréat en sciences. Les emplois à temps partiel n’étaient pas facilement disponibles et le travail à temps plein me semblait difficile à concilier avec une grande famille. La poursuite d’études universitaires m’avait procuré jusque-là plus de souplesse que le travail.
Ce fut par un deuxième heureux concours de circonstances que j’ai pu m’inscrire au tout nouveau programme de maîtrise appliquée en sciences de la réadaptation. Pour ce diplôme, j’ai travaillé avec le docteur Malcolm King sur ses recherches au sujet des oscillations à haute fréquence de la paroi thoracique (HFCWO).
Ces recherches portaient sur le fait que la percussion de la paroi thoracique (tapotement et martèlement), méthode utilisée par les physiothérapeutes, n’était pas efficace pour dégager le mucus des voies aériennes inférieures.
Les expériences de la méthode HFCWO nécessitaient la collaboration de chercheurs de l’établissement et de l’extérieur. Les installations d’imagerie de l’Hôpital général de Montréal étaient à notre disposition dans la soirée. Le recours à ces ressources externes nous procurait un moyen efficace de faire progresser les sciences de la réadaptation.
Avant d’utiliser la méthode HFCWO pour des patients, nous avons mis l’appareil à l’essai auprès de grands fumeurs (trois paquets par jour). J’ai utilisé mon mari comme témoin non fumeur aux fins de contrôle. Pour cela, il a dû subir l’oscillation en portant une veste thoracique pas très propre qui avait une odeur de chien.
La méthode HFCWO est maintenant fréquemment utilisée pour le dégagement du mucus chez les patients atteints de fibrose kystique. Aujourd’hui, la veste thoracique utilisée ressemble davantage à un accessoire de mode qu’à une veste de chien.
Les études interdisciplinaires n’ont rien de nouveau dans le domaine de la réadaptation. Pour mon doctorat, j’ai étudié la coordination des muscles respiratoires chez les personnes qui parlent normalement et chez celles qui bégaient.
Les travaux de recherche ont été menés aux laboratoires Meakins-Christie et ont donné comme résultats trois publications d’articles et quelques inconvénients pour les membres de ma famille.
En effet, ils ont été utilisés comme groupe témoin et ils ont tous dû avaler des ballons gastriques et œsophagiens pour mesurer la pression exercée sur le diaphragme. « Une petite injection de lidocaïne et une petite gorgée d’eau et c’est tout », que je leur disais.
Lorsque j’ai obtenu mon doctorat, je me suis demandé ce que j’allais faire ensuite. En 1998, le Dr Robert Zatorre, à l’Institut de neurologie de Montréal, a entrepris des études par imagerie pour comparer l’activité cérébrale chez des musiciens, des personnes qui parlent le mandarin et des personnes qui bégaient.
La poursuite d’études postdoctorales dans ce domaine était une idée qui m’attirait beaucoup, mais j’ai décidé d’entreprendre ce que j’avais rêvé de faire depuis des décennies : écrire de la fiction. Cette décision m’a redirigée vers un autre champ d’études universitaires, le programme de création littéraire du collège Humber.
Un an plus tard, David a été nommé président de l’Université de Waterloo. Nous nous sommes alors installés sur une ferme de cent hectares, au cœur de la région mennonite.
Nous étions entourés de voisins se déplaçant en calèches et j’ai commencé une nouvelle carrière à titre de propriétaire et de gestionnaire d’une écurie comptant trente-neuf chevaux. Je n’avais jamais touché à un cheval avant de me retrouver dans cette ferme à Waterloo.
À première vue, le monde équestre se situe à des années-lumière de celui de la réadaptation, mais en fait, les chevaux ont des besoins constants en matière de réadaptation. Il ne serait pas exagéré de dire que mes connaissances en physiothérapie et en ergothérapie m’ont souvent tirée du pétrin.
Si je peux me permettre, je vais maintenant remettre le compteur de ma vie au moment présent où la diplômée en ergo et en physio que je suis se retrouve effectivement mariée au GG. Par ailleurs, je ne sais plus si je dois maintenant me sentir fière ou embarrassée d’admettre que David et moi sommes légèrement plus âgés que la génération du baby-boom.
Cependant, après cette confession, je dois vous avouer également que nous avons parcouru plus de deux mille kilomètres à vélo cet été. Les représentants de la génération du baby-boom, tout comme nous, avons de grandes attentes en matière d’espérance de vie et de satisfaction personnelle.
En fait, lorsqu’il est question de médecine communautaire et familiale, il est plus profitable de travailler dans une optique de prévention en faisant la promotion des bonnes habitudes de santé auprès de la population plutôt que de travailler après-coup au traitement des maladies.
Les physiothérapeutes et les ergothérapeutes ont là une formidable occasion d’aider leurs patients à être proactifs dans la prise en charge de leur santé mentale et physique en opérant une transformation de leurs domiciles et de leur mode de vie qui leur permettra de tirer le maximum de leur quotidien.
Cela est tout particulièrement crucial compte tenu de notre population vieillissante. Une telle démarche permet souvent d’éviter la vie en institution. Nous venons justement de fermer bon nombre d’institutions. Assurons-nous de ne pas avoir à les rouvrir.
Le Bureau du gouverneur général peut être un puissant moteur de changement. Au cours des trois prochaines années, David et moi-même espérons mettre l’accent sur la façon dont notre société reconnaît et traite les maladies mentales et fait la promotion de la santé mentale.
Nous savons tous qu’après les fermetures d’institutions compte tenu des nouveaux traitements par médicaments, un grand nombre de personnes atteintes de maladies mentales se sont retrouvées dans la rue. Cependant, il y avait une faille importante. Sans la présence d’une famille attentionnée, les personnes les plus vulnérables qui réintègrent la communauté se retrouvent sans abri.
David présente souvent le Canada comme une nation avertie et bienveillante ou un pays composé de gens à l’esprit vif et au cœur généreux. Il y a actuellement un grand besoin pour ce qui est de trouver de nouvelles approches en santé mentale fondées sur des interventions intelligentes et innovatrices de la part de familles, de professionnels et de bénévoles dévoués.
Ce sont les spécialistes de la réadaptation comme vous qui travaillez dans les hôpitaux, les cliniques, les écoles et les résidences publiques et privées. Ce que j’espère, c’est que grâce à votre éducation avancée, vous ferez toujours preuve de vigilance dans votre suivi de la santé mentale de vos patients. Vous pouvez être pour eux la personne de première ligne qui les dirigera vers les services professionnels qui dépassent votre champ de compétence.
La nécessité est la mère de l’invention. Je me suis souvent réinventée au cours des dix dernières décennies, profitant des avancées en réadaptation.
Il ne m’était jamais venu à l’esprit quand je me retroussais les manches pour faire osciller des parois thoraciques ou faire avaler des ballons à des patients que je me retrouverais un jour dans la vie publique. Je ne pensais pas non plus que j’allais gérer une ferme de cent acres. Une chose est sûre cependant, chaque nouvelle occasion m’a fait grandir comme personne et j’y ai toujours pris beaucoup de plaisir.
J’aimerais conclure en vous souhaitant le plus grand succès dans vos carrières. Peu importe que vous soyez un thérapeute chevronné ou débutant, ne cessez jamais d’apprendre et de vous adapter à ce monde en perpétuelle évolution des soins de santé. Et surtout, en saisissant les occasions que la vie vous offrira, assurez-vous d’en tirer le plus grand plaisir et d’en savourer chaque moment.
Merci de m’avoir invitée ici aujourd’hui.
