Conférence du directeur de l’Université Queen à l’intention des visiteurs de marque

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Kingston, le samedi 13 octobre 2012

 

Je suis ravi de revenir à Queen’s pour aider à inaugurer cette nouvelle série de conférences. Puisse cette initiative contribuer à la vie de cette merveilleuse université et à l’acquisition du savoir qu’elle offre!

J’aimerais tout d’abord vous remercier d’être ici aujourd’hui. J’ai passé suffisamment d’années sur les campus universitaires pour savoir qu’il n’est pas toujours facile de faire le choix entre se détendre un samedi après-midi et assister à une conférence!

En fait, c’était ici même à Kingston, en 1937, que mon prédécesseur John Buchan a prononcé des mots devenus célèbres quand il a dit que les gouverneurs généraux auraient intérêt, lorsqu’il s’agit de politique publique, de s’en tenir à des généralités, qu’il a appelées en anglais des « Governor-Generalities ».

Ceci dit, je ferai de mon mieux pour minimiser les généralités cet après-midi et parler plutôt d’enjeux et de possibilités très spécifiques et propres aux étudiants, aux éducateurs et aux citoyens d’aujourd’hui.

C’est-à-dire les enjeux et les possibilités qui résultent du fait de vivre à une époque où les changements sont rapides et profonds et se produisent à l’échelle planétaire.

Si l’on en juge par les propos du physicien Neil Turok lors de la conférence Massey sur la révolution quantique, nous devrions nous préparer à des changements encore plus grands.

Je le cite :

« Ce qui nous attend sera sans doute plus majeur que toutes les transformations que nous avons connues. Nous savons déjà à quel point les communications mobiles et le Web élargissent la société planétaire, grâce auxquels l’information et l’éducation sont offertes à une échelle encore jamais vue. Or, ce n’est là qu’un début, car les nouvelles technologies vont nous transformer encore plus », écrit-il.

Ce qui nous amène à nous poser la question suivante : si ce n’est qu’un début, alors quelle est la meilleure façon de nous préparer pour l’avenir?

Il n’est évidemment pas simple d’y répondre, mais je me rappelle m’être posé une question semblable durant mes premières années à Queen’s, lorsque j’étais un étudiant en droit, en 1965. Même si, comparativement à aujourd’hui, les choses étaient plus simples, je vous assure que j’étais plutôt incertain de la voie dans laquelle je m’étais lancé, tout comme c’était le cas de plusieurs de mes contemporains.

Je me souviens également d’un certain nombre de leçons importantes que j’ai apprises à Queen’s et que je n’ai jamais oubliées. Je suis d’ailleurs convaincu qu’elles me seront encore utiles en dépit des changements considérables qui s’opèrent dans notre monde d’aujourd’hui.  

Comme c’est si souvent le cas dans la vie, l’une des leçons les plus importantes que j’ai apprises est aussi la plus simple. Il s’agit de l’importance critique d’établir des relations, que ce soit entre amis, entre partenaires ou — dans le monde de la diplomatie — entre les peuples. Selon moi, notre succès en tant qu’individus, institutions ou nations repose en grande partie sur la profondeur des liens que nous établissons avec d’autres.

Cette leçon, je l’ai apprise au début de mon interaction avec l’Université Queen’s. À cette époque, j’étais sur le point de terminer ma deuxième année de droit à l’Université Cambridge, au Royaume-Uni, et j’envisageais de finir mes études dans une université canadienne, de préférence, puisque j’envisageais de pratiquer le droit au Canada. J’ai donc parlé aux doyens de quatre écoles de droit, celles de Cambridge, Osgoode, Western et Queen’s.

L’école de droit de Queen’s était la seule au Canada à reconnaître mes deux années d’études au Royaume-Uni. Le doyen de l’époque, Bill Lederman, m’a encouragé à finir ma deuxième année à l’étranger pour profiter de la merveilleuse expérience que m’offraient mes études à l’Université de Cambridge, avant de venir à Queen’s pour terminer mon droit.

M. Lederman était conscient que mon expérience à l’étranger allait être avantageuse, non seulement pour moi, mais également pour la communauté de Queen’s et pour notre pays. Je lui suis donc reconnaissant pour sa vision et sa générosité.

Cette histoire illustre plusieurs aspects importants de la stratégie d’apprentissage pour laquelle Queen’s est reconnue. En mettant l’accent sur les gens — sur l’apprentissage et le mieux-être de tous les étudiants — cette université a su se distinguer. Bien sûr, il reste encore à faire, mais le fait de se préoccuper avant tout du succès des étudiants explique l’orientation de cette université.

L’une des conditions clés d’une telle préoccupation est la souplesse, une qualité essentielle dans le monde d’aujourd’hui. En reconnaissant l’expérience unique que j’étais en train d’acquérir à Cambridge et en validant les crédits que j’avais obtenus à l’étranger, l’Université Queen’s était à l’avant-garde, pratiquant déjà la diplomatie du savoir. Non seulement je n’ai jamais oublié cela, j’ai même fait de ce genre de diplomatie une priorité de mon mandat de gouverneur général.

Aujourd’hui, Queen’s est reconnue comme étant l’une des plus grandes institutions en Amérique du Nord. Cette université est tout simplement à l’avant-garde à tant d’égards.

Pour être plus précis, Queen’s est un chef de file, puisque tant de gens qui étudient ou enseignent à cette université sont à l’avant-garde.

On le voit chez les étudiants, le corps enseignant et le personnel administratif. Mais en tant qu’ancien étudiant, je voudrais m’attarder sur ceux qui sont ici aujourd’hui, là où j’étais il y a plusieurs années : les étudiants.

Il est indéniable que les étudiants d’aujourd’hui — et les jeunes en général — font face à de nombreux enjeux économiques, démographiques et sociaux dans leur évolution vers l’âge adulte.

Voici ce que révèle d’ailleurs le récent rapport Signes vitaux, de Fondations communautaires du Canada : « De nos jours, les jeunes évoluent dans une ère de complexité et d'incertitude. Le parcours prévisible qui guidait la vie de leurs parents est chose du passé. L'évolution de la société a décalé ou même effacé les repères qui marquaient la transition entre les différentes étapes de la vie. »

En revanche, nous savons aussi que les jeunes d’aujourd’hui font preuve d’une flexibilité remarquable, qu’ils ne craignent pas la complexité et qu’ils n’hésitent pas à contester le statu quo.

Il n’est pas exagéré de dire que notre bien-être futur – tant au Canada que dans le reste du monde – repose sur la mesure dans laquelle les étudiants peuvent exercer leur créativité et déployer leur énergie.

Ici, à Queen’s, il y a maintes raisons d’être optimistes, mais je tiens à souligner que votre conseil des étudiants est une source de possibilités particulièrement riche. Comme vous le savez sans doute, cette université est le foyer de l’Alma Mater Society, qui est le plus ancien gouvernement d’étudiants de premier cycle au Canada. Cette institution a toujours été au premier plan, et l’est toujours, lorsqu’elle vise à développer le civisme et le leadership à Queen’s. J’en profite donc pour inviter les étudiants à appliquer une réflexion approfondie à notre démocratie canadienne en général.

J’aimerais porter à votre attention la question de la participation électorale, dont le taux est l’un des plus bas de notre histoire. Selon Élections Canada, à l’élection fédérale de 2011, 61,1 p. 100 des électeurs seulement ont voté, soit près de 20 p. 100 de moins que le taux record de 79,4 p. 100 enregistré lors de l’élection de mars 1958. Je vous accorde des points supplémentaires si vous pouvez nommer le gagnant de cette élection! (Diefenbaker - majorité)

Le taux de participation au scrutin a fluctué depuis 1958, mais la tendance ne laisse aucun doute : les Canadiens sont de moins en moins nombreux à se présenter aux urnes, au point où la situation est alarmante.

Ce qui est le plus préoccupant, c’est la faible participation des jeunes à notre démocratie. En effet, 38,8 p. 100 seulement des électeurs de 18 à 24 ans ont voté lors de l’élection de 2011. Vous, les étudiants de Queen’s, qui prenez part d’une manière unique à la vie de votre université et de la société, vous avez sûrement de nombreuses idées à partager sur ce phénomène inquiétant.

Je ne voudrais pas donner l’impression que je suis ici pour discuter des raisons du déclin de la participation électorale ou de proposer des solutions précises. Je préfère me reporter à l’histoire pour trouver un exemple frappant de la façon dont l’innovation — ou l’absence d’innovation — peut être un facteur clé de la vitalité d’une démocratie.

John Buchan, un érudit classique qui a écrit des biographies de Jules César et d’Auguste et dont je suis impatient de visiter la riche bibliothèque cet après-midi, approuverait mon idée de m’inspirer de l’histoire de Rome pour en tirer un exemple.

Comme vous le savez, la république de Rome n’était à ses débuts qu’une assez petite ville. Au fil des annexions et des conquêtes, les Romains ont fini par régner sur toute l’Italie et même au-delà, conférant aux peuples conquis la citoyenneté romaine et le privilège de voter. Cependant, comme le souligne Robert A. Dahl, politicologue à l’Université Yale, dans son ouvrage intitulé On Democracy, l’expansion de Rome avait une « énorme faille ».

C’est que Rome n’a pas réussi à adapter ses institutions politiques à la croissance considérable de sa population et de son territoire. Je dois mentionner ici que les citoyens romains ne pouvaient voter et exercer leurs droits et privilèges qu’en se rendant au forum, à Rome même. Cela était faisable lorsque Rome n’était qu’une cité, mais il était impensable que des citoyens qui habitaient dans des territoires éloignés puissent faire le voyage jusqu’à Rome pour voter ou participer à des assemblées citoyennes.

Bref, la république romaine n’a pas réussi à développer un système de gouvernement représentatif, avec des représentants élus œuvrant dans la capitale au service des citoyens. Ce qu’il fallait pour refléter la nouvelle réalité de Rome, c’était une innovation – celle d’un gouvernement représentatif. Le fait que cette innovation ne s’est pas matérialisée illustre bien comment nous sommes parfois aveugles face à la réalité.

Comme l’écrit M. Dahl :

« La plupart d’entre nous tenons pour acquises des choses qui n’existaient pas auparavant. Ainsi, les générations futures se demanderont à leur tour pourquoi nous sommes passés à côté de certaines innovations qu’ils tiendront pour acquises. Puisque nous tenons des choses pour acquises, ne sommes-nous pas comme les Romains en ne faisant pas suffisamment preuve de créativité pour renouveler nos institutions politiques? »

Je vous laisse réfléchir à cette question, vous les étudiants Queen’s et citoyens du Canada qui modifierez nos institutions dans les années à venir.

Cette question me ramène en outre à mon propos de cet après-midi, soit la rapidité et la profondeur des changements qui se produisent dans notre monde d’aujourd’hui, et l’importance cruciale de travailler et d’innover ensemble.

Cette université est un incubateur idéal d’innovations, grâce à la diversité et à l’intelligence des cerveaux qui sont rassemblés ici et grâce aux nombreux liens que vous entretenez avec la société canadienne et le reste du monde. Comme le souligne Jon Gertner dans son ouvrage intitulé The Idea Factory, qui raconte l’histoire des fameux laboratoires Bell au New Jersey, l’innovation n’est pas un processus linéaire orienté vers une seule direction, qui commence avec l’éducation et la recherche et se poursuit avec l’expérimentation et l’application pratique. L’innovation procède plutôt de va-et-vient qui se produisent à divers moments tout au long du processus linéaire.

M. Gertner poursuit sa réflexion en disant que l’innovation ne peut découler d’une seule personne, car elle résulte de l’union des efforts de plusieurs personnes travaillant aux divers aspects d’un même problème. Bref, l’innovation est un processus de partage.

En terminant, permettez-moi d’insister encore sur l’importance de profiter de toutes les occasions pour favoriser l’établissement de relations valables pour pouvoir relever les enjeux du présent et de l’avenir et tirer profit des possibilités présentes et futures.

Au Canada, la collaboration a toujours été au cœur de notre succès, et il en sera toujours ainsi.

Merci.