Rencontre internationale pour la reconstruction du système universitaire haïtien

Ce contenu est archivé.


Rencontre internationale pour la reconstruction du système universitaire haïtien

Montréal, le mardi 25 mai 2010

Le 12 janvier dernier, à 16 heures 53 minutes, la terre d’Haïti a tremblé.

Bilan : près de 300 000 morts, selon les autorités haïtiennes, des blessés par milliers, des communes dévastées, une capitale entière anéantie par les secousses.

Les images de ce désastre, lorsque figées à la une des journaux, ou déferlant en direct sur les écrans du monde entier, ont suscité l’horreur, puis un élan de solidarité sans précédent pour le peuple haïtien « sans dimanche au bout de ses peines », selon l’expression du poète René Depestre.

Peu à peu, les images se sont faites plus rares dans les médias d’information, mais le désastre, lui, bien réel, se vit toujours au quotidien par nos sœurs et nos frères haïtiens qui y ont survécu.

Aussi m’apparaît-il crucial, sinon vital, qu’à cette vague initiale de solidarité internationale s’ajoute une vigilance de tous les instants de la part de celles et de ceux engagés à aider l’un des pays les plus vulnérables des Amériques à se relever des décombres.

Notre attention doit être sans défaillance.

Or, l’initiative de madame Mireille Mathieu, vice-rectrice aux relations internationales de l’Université de Montréal, ainsi que de ses collaboratrices et collaborateurs, constitue justement un moyen d’inscrire la vigilance au cœur de notre action en faveur d’Haïti.

Les 8 et 9 mars derniers, madame Mathieu, de même que monsieur Gérald Tremblay, le maire de Montréal, et madame Denise Côté, professeure au Département de travail social et des sciences sociales à l’Université du Québec en Outaouais, m’accompagnaient en Haïti, en vue de constater l’état des lieux, de témoigner de l’efficacité des secours canadiens et de repérer des axes d’intervention prioritaires en consultation non seulement avec les autorités et les représentants de l’État haïtien, mais aussi et beaucoup avec la société civile haïtienne.

Car il est clair, qu’Haïti ne s’en sortira pas sans la participation pleine et entière des femmes, des hommes et des jeunes de ce pays, sans tenir compte de leurs préoccupations, de leurs perspectives, de leurs initiatives, de leur créativité, de la capacité de faire de ces forces vives qui se doivent d’être incluses dans chaque action, chaque projet comme jamais auparavant. S’il est un changement de cap urgemment nécessaire c’est bien celui d’inclure la population, de croire en elle, de compter sur elle et de faire avec elle, à Port-au-Prince et en dehors de Port-au-Prince.

Lors de nos discussions et des rencontres nombreuses que nous avons tenues, il a vite été conclu que l’éducation doit être l’une des composantes névralgiques de tous les efforts de reconstruction, qu’il s’agisse de renvoyer les enfants à l’école primaire, comme ils le réclamaient et attendaient avec impatience, de relancer l’enseignement supérieur ou de favoriser la formation professionnelle.

Certes, l’éducation est nécessaire à tout pays axé sur la croissance, mais elle l’est aussi et d’autant plus pour tout pays qui cherche à renaître de ses cendres.

Oui, je pense notamment à cette petite fille, dont j’aime à évoquer le souvenir et que je n’oublierai jamais, qui se tenait debout devant moi dans la poussière des débris et qui voulait savoir où et quand reprendraient les classes.

Ce souci d’une enfant parmi tant d’autres me rappela avec force l’importance de rétablir les réseaux d’éducation en Haïti en introduisant des critères, des normes et des contrôles de qualité à toutes les écoles et en renforçant l’accessibilité et l’universalité du secteur public.

Et toutes celles et tous ceux qui œuvrent sur place dans le secteur de l’éducation me l’ont dit également avec insistance en me faisant le bilan des pertes aux niveaux humain et des infrastructures.

Ce bilan est lourd, il est terrible, il est effroyable : plus de 4 000 élèves, des centaines de professeurs et des centaines de cadres ont péri; plus de 89 p. 100 des écoles et institutions scolaires, dont deux universités à Port-au-Prince, ont été détruites par le tremblement de terre.

Les besoins, au cours des prochaines années, seront énormes, et Haïti doit pouvoir compter sur une relève apte à répondre aux défis, nombreux et complexes, de la reconstruction en optant sur une éducation accessible et de qualité.

Il y va, à mon sens, de la possibilité la plus prometteuse pour Haïti de se reconstruire enfin sur des fondations nouvelles, solides et lumineuses. Je suis, comme vous, convaincue que le renforcement du secteur de l’éducation si durement frappé lors du séisme est vital pour toute refondation du pays.

Le temps est venu, selon la formule du Plan d’action pour le relèvement et le développement national d’Haïti, d’ « inverser la spirale de vulnérabilité ».

Haïti ne peut continuer d’être le laboratoire de toutes les formes d’assistance, de tous les essais et erreurs de l’aide, ou de stratégies lacunaires.  

Le 31 mars dernier, aux Nations Unies, lors de la Conférence internationale des pays donateurs, dont le Canada est l’un des coorganisateurs, le gouvernement haïtien, la société civile haïtienne, la communauté internationale, tant les gouvernements, le milieu associatif, les institutions que le secteur privé, s’entendaient sur une approche globale en vue de faire de la reconstruction d’Haïti un cas d’espèce.

Je m’explique.

Outre la nécessité des mesures d’urgence pour procurer nourriture et eau potable, pour relocaliser les populations sinistrées, ériger des abris temporaires et empêcher la propagation des maladies, à l’approche de la prochaine saison des pluies et cyclones, il faut aussi et tout autant que la reconstruction d’Haïti se pense et se réalise comme une mise à l’épreuve de la capacité de faire triompher la solidarité, plutôt que les intérêts personnels ou particuliers.

Dans l’enceinte des Nations Unies, le président d’Haïti, René Préval, a parlé avec raison de la catastrophe qui s’est abattue sur son propre pays comme d’une occasion de rêver d’une autre humanité. Une autre humanité, dirais-je, où l’esprit de partage l’emporterait sur la cupidité du « chacun pour soi et pour son clan ».

Il s’agirait, ni plus ni moins, d’un cadre de développement qui mettrait la dignité humaine et l’imagination au cœur de tous les systèmes, de toutes les stratégies d’intervention, de tous les efforts collectifs, et qui appellerait urgemment une nouvelle éthique du partage.

Il faudra inventer ensemble de nouvelles façons de faire et d’accompagner.

Toute expérience humaine, découlât-elle d’un désastre, est une occasion de repenser l’apprentissage et notre approche de l’éducation, comme nous le rappelait si justement monsieur Jacky Lumarque, recteur de l’université Quisqueya, à Port-au-Prince.

Monsieur Lumarque qui, sur les lieux mêmes de l’effondrement de son institution, a vu s’installer un camp de sinistrés, où, disait-il, les étudiantes et étudiants pourraient mettre en pratique et approfondir leurs connaissances sur le terrain : apprendre en aidant des femmes, des hommes et des enfants en situation de crise; apprendre dans l’action et en se retroussant les manches; apprendre en recensant les besoins et en participant aux solutions; prendre conscience et ancrer ainsi le sens de la citoyenneté, et la responsabilité citoyenne.  

C’est dans cet esprit rassembleur, innovateur et, oserais-je dire, profondément humaniste que s’inscrit la tenue des assises internationales qui nous rassemblent aujourd’hui et qui sont destinées à élaborer un plan d’action pour la reconstruction de l’enseignement supérieur en Haïti.

C’est l’Agence universitaire de la Francophonie, dont madame Mathieu est vice-rectrice à la vie associative et au développement, qui en est responsable, et c’est là un exemple absolument remarquable, tangible et concret, s’il en fallait un, de l’action de la Francophonie à la rescousse d’un de ses membres si durement éprouvé.

Au cours des prochains jours, ici même, à l’Université de Montréal, mon alma mater, suis-je fière de préciser, responsables haïtiens énonceront leurs priorités et représentants des universités de la Francophonie formuleront leurs offres et conseils.

Je salue très chaleureusement cette rencontre porteuse d’espoir et sachez, chers amis, que je suivrai vos délibérations avec le plus grand intérêt.

Permettez-moi de vous laisser sur une citation du philosophe français, Gaston Bachelard, qui a renouvelé notre approche de l’imagination, et qui disait, fort opportunément en ces jours de lutte acharnée contre le désastre, qu’ « il faut que la volonté imagine trop pour réaliser assez ».

Je vous invite donc, en ces circonstances si particulières, à tous les débordements d’imagination.