Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques

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Remise des Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques

Rideau Hall, le mercredi 31 mars 2010

Nous avons parfois tendance à regarder le monde sans le voir, tant nos yeux sont sursaturés d’images vouées à la surenchère marchande.

Nous pressentons bien qu’il y a autre chose. Nous savons qu’il y a plus que ce flot continu de points de vue, le plus souvent les mêmes qui se répètent à l’infini, plus que l’horizon immédiat, plus que le prévisible.

C’est par l’art que nous accédons à cette autre chose, à cette part d’invisible, d’intangible, d’essentiel derrière les apparences.

Les œuvres d’art que vous créez taillent une brèche dans le réel pour que l’imagination puisse y passer et ouvrir en nous tout un champ d’idées et de possibilités.

Nous voyons soudain le monde par vos yeux, et tout notre être est happé par le surplus de sens et de sensations qui jaillissent dans notre esprit, notre cœur et notre corps.

Face aux émotions que vos œuvres suscitent, aux interrogations qu’elles soulèvent, aux certitudes qu’elles ébranlent, à la réflexion qu’elles font naître, nous nous sentons plus vivants, plus humains et plus libres.

Je dis souvent qu’un des grands bonheurs d’habiter Rideau Hall et d’y travailler est de côtoyer au quotidien des œuvres d’art exceptionnelles, grâce à l’imaginaire de nos artistes et à la générosité de certaines institutions muséales.

Riopelle disait que ses tableaux « témoignent de ce qui arrive en lui ».

Or, chaque fois que j’emprunte le long corridor qui mène de mon bureau au Salon de réception, je ne peux m’empêcher d’être fascinée par les proportions mystérieuses de la Composition, un tableau qu’il a créé dans les années 1950.

Comme si l’œuvre était un miroir tourné vers l’intérieur et son reflet, une révélation pour celui ou celle qui regarde.

Voilà pourquoi il m’importe que les milliers de visiteurs qui franchissent ces portes tous les ans puissent aussi avoir l’occasion de dialoguer avec ces œuvres, par le cœur et par l’esprit.

De même qu’il m’importe de vous rendre hommage à vous, chers artistes, qui emplissez nos regards de vos visions et élargissez notre perception des choses et de nous-mêmes.

Sans vous, nous resterions cloîtrés dans une seule façon de voir, et l’humanité en serait appauvrie.

Grâce à vous, nous avons droit à une diversité de perspectives sur le monde, auxquelles vous prêtez des formes qui savent nous parler et qui instaurent un dialogue d’une richesse infinie.

Un dialogue qui se réinvente chaque fois, au gré de la lumière et du temps.

Pour cela, ne serait-ce que pour cela, vous méritez toute notre reconnaissance.

À Robert Davidson, dont l’œuvre fait revivre la culture de ses ancêtres Haidas, comme la sève irrigue l’arbre de ses racines profondes jusqu’à la cime, je dis merci.

À André Forcier qui, depuis les années 1970, signe des films sans compromis, d’une poésie qui libère le réel de ses contraintes, je dis merci.

À Rita Letendre, dont les vastes fresques s’alimentent à l’énergie du monde, je dis merci.

À Tom Sherman, pour qui la nature est une force invincible que l’on doit interroger sans cesse et par tous les moyens, je dis merci.

À Gabor Szilasi, qui capte sur la pellicule l’esprit des lieux, des époques, des gens, avec respect, sobriété, sensibilité, je dis merci.

À Claude Tousignant, qui revendique le plaisir d’explorer les formes et les couleurs et d’en libérer tout le pouvoir d’évocation qu’elles recèlent, je dis merci.

À Terrence Ryan, l’artiste à la source de l’émergence et de la reconnaissance internationale des artistes de Cap Dorset, je dis merci.

Depuis 2007, les Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques redonnent aux métiers d’art leurs lettres de noblesse, par l’entremise du Prix Saidye Bronfman pour l’excellence dans le domaine des métiers d’art.

À Ione Thorkelsson, qui reçoit ce prix cette année, une artiste qui souffle, moule, sculpte le verre pour en faire des ossements, dans une volonté de restituer une part de la mémoire des âges, je dis merci.

Chers lauréates, chers lauréats, un seul vœu, en terminant : puisse notre regard, guidé par le vôtre, saisir le sens, la beauté, la lumière, le mystère non seulement là où ils se trouvent, mais là où ils se cachent.

Merci, mille fois merci.