Inauguration de la Conférence Jeanne Sauvé

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Inauguration de la Conférence Jeanne Sauvé

Rideau Hall, le jeudi 18 février 2010

Permettez-moi d’abord de vous remercier de m’avoir invitée à prendre part à la toute première Conférence Jeanne Sauvé sur un thème qui me tient beaucoup à cœur : «l’engagement des jeunes au 21ième siècle : un appel au changement à l’heure de la mondialisation».

Je suis particulièrement touchée et honorée que l’on m’ait demandé d’inaugurer cet événement, car il est profondément ancré dans le legs laissé par l’un de mes prédécesseurs, une femme formidable avec qui je partage une forte affinité d’esprit : la très honorable Jeanne Sauvé.

Comme des millions de Canadiennes, je dois beaucoup au courage et à la vision de Madame Sauvé.

Elle a aidé à promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes au Canada en devenant la première femme à être élue présidente de la Chambre des Communes, la première personne à ouvrir une garderie sur la Colline du Parlement et, bien sûr, la première femme à servir à titre de gouverneur général du Canada.

Animée par sa profonde conviction que, et je reprends ici ses mots, « le Canada est d’abord et avant tout un pays d’espoir », elle a refusé de céder aux pressions des préjudices et de la tradition patriarcale.

Madame Sauvé a choisi plutôt de travailler inlassablement en faveur de l’unité nationale, de la paix mondiale et de l’excellence auprès des jeunes de tout le Canada et du monde entier.

Et je suis convaincue que le Programme des boursiers Sauvé, que nous célébrons cet après-midi, pourrait couronner les efforts que Madame Sauvé a déployés pour promouvoir une culture mondiale de la paix par l’intermédiaire des jeunes leaders.

Dans le discours qu’elle a prononcé à l’ouverture de la Conférence nationale des jeunes leaders, en 1991, Jeanne Sauvé a insisté sur la nécessité d’encourager les jeunes chefs de file à explorer « la diversité et la pluralité des cultures, des croyances religieuses, des idéologies et des systèmes de façon à reconnaître et mettre à l’œuvre les principes et les valeurs que l’humanité a en partage, les éléments que tous tiennent pour (...) sacrés ».

J’abonde moi aussi en ce sens, car, s’il est important de célébrer, comme nous aimons le faire, la richesse de notre diversité, et de revendiquer haut et fort nos différences, il est tout aussi crucial d’identifier et de puiser du brassage des cultures la somme de tout ce qui peut mieux nous rassembler. En ce sens, les universités, notamment l’université McGill, ont un rôle primordial à jouer et à assumer.

Il nous faut parcourir avec enthousiasme et créativité tout ce que nous avons en commun.

Il nous faut recourir à cette riche mosaïque des idées qui trouvent leur force dans leur universalité et qui ont traversé le temps et l’histoire.

Il n’y a pas meilleur moyen de remonter le fil de l’expérience dont la grande famille humaine est issue.

Il faut cultiver et approfondir ce savoir et s’en servir dans un processus dynamique et créatif pour aller de l’avant.

Car nous vivons dans un monde où les espaces de débat critique, de réflexion et d’action citoyenne sont de plus en plus menacés par les séduisantes sirènes que sont les gratifications éphémères et la conformité culturelle.

De plus en plus, les forces impersonnelles du marché influencent la vie publique, tandis que les notions du bien commun et de l’altruisme reculent devant l’éthique du « chacun pour soi ou pour son clan ».

Dans l’esprit de plusieurs personnes, aujourd’hui, la mondialisation est associée à la logique de l’accumulation de la richesse, ce qui diminue la capacité des citoyennes et des citoyens, voire de sociétés entières, de s’attaquer aux enjeux de leurs collectivités, de leur pays et du monde.

Il est donc urgent pour nous, en tant que collectivité mondiale, de commencer à nous poser quelques questions fondamentales.

En cette ère de mondialisation : 

Comment pouvons-nous rétablir le lien entre les citoyens et leur pouvoir intérieur et collectif d’opérer des changements?

Comment redonner vie aux principes universels de fraternité, de dignité humaine, de compassion, de justice et de liberté?

Comment réintroduire l’objectif qui consiste à mobiliser les gens en faveur de buts communs?

Comment faire pour revivifier la « sphère publique », pour employer l’expression de Jürgen Habermas?

Croyez-moi, pour chacune de ces questions, j’ai vu des centaines de jeunes se poser les mêmes et mettre en œuvre des solutions concrètes.

Il est si inspirant de les voir mettre des paroles en action.

En effet, au cours des quatre dernières années de mon mandat, en qualité de 27e gouverneur général du Canada, j’ai eu le privilège, que ce soit au Canada ou lors de missions à l’étranger, d’aller à la rencontre de nombreux jeunes sur leur terrain, dans leurs espaces de vie et d’action, dans plusieurs  écoles et de nombreuses universités, dans la rue et dans des organismes communautaires, dans des lieux de création artistique et de rassemblement culturel, tant en milieu urbain que dans des localités rurales ou des collectivités autochtones.

Or, partant d’innombrables conversations et discussions que j’ai pu avoir avec tous ces jeunes que j’ai écoutés, lors des nombreux dialogues et forums auxquels j’ai participé à leurs côtés et à travers toutes ces initiatives menées par des jeunes pour des jeunes dont j’ai pris connaissance et que j’ai visitées, partout ce qui m’a frappée c’est la pertinence des idées et des solutions émanant de la jeunesse. Partout j’ai constaté combien la force de leur leadership est indéniable et à quel point s’en détourner serait une erreur.

C’est la raison pour laquelle je suis ici aujourd’hui, convaincue que l’un de nos plus grands espoirs d’un monde meilleur réside dans l’engagement lucide de nos jeunes.

Il est peut-être difficile d’y croire, alors que tant de jeunes sont considérés comme étant hypnotisés par la doctrine de la « consommation à outrance », ou prisonniers de la mentalité du « chacun pour soi ».

Or, une génération de jeunes ayant une mentalité tout à fait nouvelle s’approprient en fait les instruments mêmes de la mondialisation pour en faire des outils d’engagement fondamentaux, redonnant une nouvelle pertinence au très ancien concept du civisme.

Prenons par exemple le mouvement mondial des arts urbains et du hip-hop auquel j’ai collaboré par l’intermédiaire des Forums des arts urbains et des Dialogues jeunesse de la gouverneure générale.

J’ai voulu rencontrer les jeunes dans leur milieu et dans ce qu’ils aiment faire.

Tandis que le hip hop est devenu une industrie du spectacle qui rapporte des milliards de dollars et qui glorifie souvent la violence contre les femmes, l’homophobie et le crime, j’ai découvert qu'un nouveau mouvement émerge.

De millions de jeunes, partout dans le monde, travaillent maintenant dans leurs barrios, leurs favelas, leurs ghettos, leurs quartiers et d’autres espaces pour se réapproprier les arts urbains aux dépens des impératifs commerciaux et en faire des instruments de transformation sociale, donnant ainsi une voix aux sans-voix.

Pour eux, la création artistique n’est pas une simple question d’esthétique ou de profit.

L’art, c’est semer des graines d’espoir là où sévissait la mentalité du « chacun pour soi ».

Car les jeunes artistes utilisent les outils de la communication mondiale pour échanger leurs idées et collaborer avec leurs pairs d’autres pays, ce qui aurait été impossible il y a cinquante ans.

Et combien de jeunes m’ont dit, « Excellence : les arts m’ont sauvé la vie. »

Ce nouvel « habitus », pour citer Pierre Bourdieu, produit des résultats intéressants.

Un fléchissement des taux de criminalité :

Je pense aux jeunes de la Graffiti Gallery dans le quartier North Point Douglas, à Winnipeg, qui, en huit mois, ont mobilisé leur communauté entière qui a réussi à  réduire de 70 pour cent un taux de criminalité extrêmement élevé.

Des citoyens et des collectivités dotés d’une conscience sociale plus grande et engagés sur le plan politique.

Je pense à l’organisme jeunesse l’Apathie c’est plate, qui utilise l’art et les nouvelles technologies de l’information pour habiliter une nouvelle génération d’électeurs.

Ilona Dougherty nous parlera bientôt des efforts que déploie constamment cet organisme pour combattre l’indifférence et promouvoir la participation démocratique chez les jeunes.

La survie des langues en voie d’extinction :

Je pense à Samian, le premier rappeur algonquin du Québec, qui utilise le hip hop pour préserver une langue et une culture autochtone menacées.

Sauver des vies que l’exclusion jette dans la rue :

Je pense  à la Maison des Jeunes de la Côte-des-Neiges qui, ici même à Montréal, par la poésie, la musique, la danse, reconstruit des liens, rassemble des jeunes autour de projets constructifs et les ramène à la vie.

La prévention du suicide :

Je pense à Blueprint for Life, un collectif communautaire de break-dance qui offre aux jeunes Inuits l’occasion de s’ouvrir de nouveau à la vie, d’exprimer leur pensée sur les problèmes qui leur sont communs, et de croire en eux-mêmes et en leurs capacités.

Et croyez-moi, cela sauve véritablement des vies, de nombreuses vies. Et cela encourage un nombre grandissant de jeunes du Nord à retourner à l’école ou à poursuivre leurs études.

Les campagnes visant à influencer des tribunes multilatérales :

Je pense au mouvement Ignite the Americas, qui permet à de jeunes marginaux de toutes les Amériques d’influencer l’élaboration des politiques à l’Organisation des États américains.

Les efforts pour promouvoir une meilleure compréhension mutuelle :

La semaine dernière seulement, en ma qualité de présidente honoraire de la Trêve olympique de 2010 à Vancouver, j’ai engagé dans un dialogue dynamique quelque 600 jeunes Autochtones et non Autochtones de toutes les régions du Canada.

Malgré la grande diversité dans la salle, les jeunes chefs de file avaient tous le désir d’éliminer les barrières érigées par les différences culturelles, les préjugés, l’exclusion, le racisme et l’ignorance afin d’encourager une meilleure compréhension, ainsi que la réconciliation et la collaboration entre tous les segments de la société canadienne.

Ce qui m’inspire et me rend des plus enthousiastes, c’est de voir tous ces jeunes qui agissent à la fois à une échelle très locale et qui établissent des réseaux extrêmement dynamiques au cœur d’un mouvement plus vaste, et plus fluide, un mouvement mondial en faveur du changement.

Un mouvement mondial qui mise sur les nouvelles technologies d’information pour faire circuler des idées et créer des liens solides qui vont au-delà des frontières, de l’espace, du temps, de la culture, de la religion et de la langue.

Et ce faisant, ils participent à ce que je décrirais comme étant « la mondialisation des mouvements de solidarité ».

La mondialisation des mouvements de solidarité, ce sont les citoyens qui disent non à un monde où la survie du plus fort détermine les relations sociales.

Qui disent non à un monde où l’obsession du profit rend aveugle à la souffrance.

Qui disent non à un monde où la prospérité nuit à l’environnement.

Et qui disent oui à un monde où nous comptons les uns sur les autres et œuvrons main dans la main à l’édification de sociétés où tous et toutes, partout, ont les mêmes chances de réaliser leur plein potentiel.

Je crois profondément que  l’humanité progresse quand cesse l’indifférence et lorsque les forces se conjuguent pour réaliser l’impossible.

Il m’arrive aussi de penser que nous entrons dans une nouvelle ère où commence à prévaloir une formidable éthique du partage.

La réponse sans précédent du monde entier, chez nous y compris, à la suite du violent séisme qui a dévasté Haïti me semble en être un indice.

Alors que les images insoutenables de dévastation, de détresse, de souffrance et de dénuement ont déferlé sur tous les écrans, le mur de l’indifférence a lui aussi été fortement ébranlé.

On voit des citoyennes et des citoyens, des élèves, des étudiants, des organisations locales et internationales, des institutions, des corporations, des gouvernements — municipal, provincial, fédéral — des artistes et des médias rassemblés, des employeurs et des travailleurs, des riches et des pauvres, des grandes puissances et des pays en voie de développement, tous mobilisés pour venir en aide au pays le plus pauvre des Amériques.

Mobilisés dès les premières heures pour les secours d’urgence et mobilisés un mois plus tard pour soutenir les efforts de reconstruction qui s’étaleront sur des décennies.

Où que j’aille, ils sont nombreuses et nombreux à m’approcher pour me dire leur désir de poser un geste, de faire campagne ou pour m’informer de leurs initiatives en solidarité avec le peuple d’Haïti. 

Cet élan sans précédent, et qui semble vouloir perdurer alors que les images aigües de la crise humanitaire ne font plus la une des médias, me laisse espérer que nous avons toutes les raisons de croire en l’avènement d’un monde plus fraternel.

C’est ce que je veux dire par favoriser une nouvelle conscience mondiale de bienveillance et de partage.

Or, ce processus commence au moment où chacune et chacun d’entre nous acceptons notre responsabilité commune, posons des gestes concrets et sortons de notre zone de confort.

Un à la fois.

Chaque geste compte; chaque action compte.

Je sais que beaucoup parmi vous sont déjà engagés dans cette entreprise.

J’ai hâte de vous entendre parler de vos expériences.

Merci.