Dîner d'État - Sénégal

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Dîner d’État offert par Son Excellence Maître Abdoulaye Wade,
Président de la République du Sénégal

Dakar (Sénégal), le jeudi 15 avril 2010

Permettez d’abord que je vous dise à quel point je suis émue. Émue de me tenir devant vous aujourd’hui pour entamer mon troisième grand voyage en Afrique. Émue de fouler à nouveau la terre de mes ancêtres, où j’ai effectué mes premières visites d’État en 2006, à titre de gouverneure générale du Canada, de part en part du continent, de l’Algérie à l’Afrique du Sud, en passant par le Mali, le Ghana et le Maroc.

Puis, en 2009, au Liberia, à l’invitation de la première femme présidente sur ce continent, Son Excellence Ellen Johnson Sirleaf, dans le cadre du Colloque international sur le renforcement des capacités des femmes, le développement du leadership, la paix et la sécurité, où j’avais d’ailleurs eu le plaisir de m’entretenir avec vous, Monsieur le Président. Et je suis ravie du fait que nous puissions poursuivre notre discussion là où nous l’avions laissée et cette fois mieux encore à l’écoute du cœur battant de ce pays et de ce peuple que nous aimons.

Et il n’y a pas que moi mais aussi la délégation qui m’accompagne. Nous nous réjouissons d’être parmi vous en cette année particulière qui marque le cinquantenaire de l’indépendance du Sénégal et vous remercions de votre accueil chaleureux.

À toutes les Sénégalaises et tous les Sénégalais, aux enfants, aux jeunes, aux aînés, qui se sont massés sur les trottoirs partout sur notre passage qui nous ont gratifié de leurs sourires, de leurs chants, de leurs danses, de leur présence nous disons merci pour la « Téranga » si sincère. Le peuple Sénégalais a du cœur! Cette première journée parmi vous nous le dit beaucoup.

Cette première visite d’État du Canada au Sénégal, quelle belle occasion de souligner les liens profonds d’amitié et de collaboration qui se sont noués entre nos deux pays depuis l’accession du Sénégal à l’indépendance en 1960, sous la présidence du poète, de l’académicien et de l’un des fondateurs de la Francophonie internationale, Léopold Sédar Senghor.

Il nous faut célébrer ces liens si précieux qui nous unissent, en rappelant, combien Senghor définissait si justement la Négritude comme « une ouverture aux et sur les autres ».

« C’est d’abord, expliquait-il, enracinement dans les vertus des peuples noirs, croissance et floraison, avant d’être ouverture aux pollens fécondants des autres peuples et civilisations. »

Eh bien, cette phrase me revient en mémoire chaque fois que j’aborde le continent africain, et j’estime qu’elle appelle de tous ses vœux l’émergence d’un monde où la contribution singulière et diversifiée de l’Afrique trouve enfin sa juste place.

Je suis fière de l’affirmer ici, au Sénégal, et devant vous, Monsieur le Président, qui êtes l’un des doyens de ce continent en pleine effervescence dans son désir de renaissance. 

L’Afrique est un continent dont les promesses, nombreuses mais encore mal jaugées, sont un démenti radical de l’afro-pessimisme auquel on veut souvent confiner cette terre généreuse, berceau de l’humanité et ses enfants si vigoureux, si volontaires.

Je viens saluer encore une fois chaque pas en avant, chaque réalisation. Je viens une fois encore faire le plein de toutes ces promesses, riches de la vision des aînés, riches du travail acharné des peuples, riches de cette jeunesse qui se conjugue au présent et au futur, et à laquelle il faut donner tous les moyens de réussir et de participer activement, pleinement, avec assurance à la « Civilisation de l’Universel », toujours selon le vœu de Senghor.

Vous-même, Monsieur le Président, rappeliez dans votre discours à la Nation à la veille de l’année 2010, l’importance de ne pas abandonner la jeunesse à « l’aventure », à la merci des prédateurs de toute sorte qui réduisent les enfants à un fond de commerce, les exposant ainsi aux méfaits de la drogue et de tous les dangers. Ces prédateurs nombreux qui exploitent de façon criminelle la force des enfants en force de travail les jettent à la dérive des trottoirs.

Nous partageons votre conviction de « laisser plutôt la lumière du savoir guider les pas de la jeunesse ».

J’en profite pour saluer l’initiative et le concept de la Case des petits comme celle que j’ai visitée aujourd’hui.

Les jeunes sont une ressource vitale et irremplaçable.

C’est dans cet esprit que l’aide canadienne au Sénégal se concentre principalement sur l’éducation de base, l’enseignement technique et professionnel, l’alphabétisation, particulièrement pour les filles et les femmes.

Le Canada est d’ailleurs le plus important bailleur de fonds dans le secteur névralgique de l’éducation au Sénégal.

L’Agence canadienne de développement international déploie aussi beaucoup d’efforts, de concert avec ses partenaires sénégalais, en vue d’assurer la sécurité alimentaire, de mettre en place une industrie agro-alimentaire durable, d’adapter les services financiers aux besoins des petits producteurs en milieu rural et de faciliter la livraison de services gouvernementaux au niveau local.

C’est notre façon à nous de contribuer à ce que le Sénégal atteigne l’autosuffisance alimentaire, selon votre vœu le plus cher, Monsieur le Président.

Au cœur des valeurs que partagent le Canada et le Sénégal se trouvent la primauté du droit, le respect des droits de la personne, la démocratie et la liberté d’expression, que nos deux pays promeuvent au sein d’organismes multilatéraux comme les Nations Unies et l’Organisation internationale de la Francophonie, dont le président Senghor était l’un des fondateurs, comme je l’ai rappelé, et le président Diouf est l’actuel secrétaire général.

Le Canada apprécie par ailleurs notre solide collaboration militaire, de même que la contribution importante du Sénégal dans les missions de maintien de la paix en Haïti et en République démocratique du Congo. 

De plus, nos échanges commerciaux sont en pleine expansion, et le Canada est fier du succès de ses entreprises au Sénégal et veille à ce que le développement économique ne se réalise ni au détriment de la responsabilité sociale, ni au détriment des populations locales, pas au détriment de l’environnement.

Au cours des prochains jours, moi-même et la délégation qui m’accompagne aurons le bonheur de rencontrer les forces vives de la société sénégalaise, notamment des jeunes et des femmes, sans lesquels le présent de l’Afrique est intenable, et son avenir impensable.

J’aurai aussi le privilège de me rendre à l’île de Gorée, où je participerai à une discussion avec des femmes sénégalaises engagées dans l’avancement de leur communauté et du monde.

Après le château d’Elmina, au Ghana, où je suis allée en 2006, je serai là d’où partaient, enchaînés, des femmes, des hommes, des enfants dépossédés de leur culture, de leur langue, de leur nom, en somme de leur humanité, pour être réduits à l’esclavage. 

Je penserai aux quelque onze millions d’Africaines et d’Africains déportés vers les colonies européennes des Amériques et de l’océan Indien en un peu moins de quatre siècles.

Je penserai à nos sœurs et à nos frères haïtiens, si éprouvés ces jours-ci, dont les ancêtres se sont affranchis de l’esclavage, et ont posé ainsi un geste décisif au nom de l’humanité.

Je penserai aussi à la volonté ferme que vous avez Monsieur le Président de faire de l’esclavage un crime contre l’humanité, et d’ériger cette volonté en principe.

Merci, amis sénégalaises et sénégalais, d’inscrire la culture au cœur de tous les grands débats de la société, et d’en avoir fait pour nous toutes et tous un vecteur de civilisation.

Sachez à quel point nous sommes heureux d’être parmi vous, non seulement pour célébrer l’amitié entre nos deux pays, en ce cinquantenaire qui marque l’histoire récente du Sénégal, mais aussi pour mesurer le chemin qu’il nous reste à parcourir pour que nous puissions dire ensemble avec Senghor : pour nous, l’être humain est à la fois « moyen » et « fin ».

La véritable révolution, qui concerne le monde entier à l’heure actuelle, est bien celle-là, et nous devons la réaliser ensemble.

Longue vie à la fraternité entre les peuples du Sénégal et du Canada!

Longue vie à un Sénégal indépendant et de plus en plus fort!

Longue vie à la francophonie dans sa belle et formidable diversité, dont le Sénégal et le Canada sont d’ardents défenseurs!