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7 mars2010
par Son Excellence Michaëlle Jean
Nous partirons avant l'aube pour arriver au petit matin à Port-au-Prince.
J'appréhende, tout ce qu'il faudra absorber, encaisser, traverser.
Mais, j'ai choisi d'arriver un 8 mars, journée internationale des femmes, parce qu'il faut rappeler que l'espoir passe par les femmes, que sans leur participation, sans leurs perspectives et leurs solutions, ce sera peine perdue, rien ne sera viable. Je veux d'emblée accompagner ce qui se dessine à l'horizon par-delà les décombres.
Une voix me manque terriblement. Celle de ma mère qui ne parle plus, est alitée et n'a plus de mémoire depuis que l'Alzheimer la lui a prise. Je lui raconte tout de même, à l'affût d'une lueur, une seule, dans l'abyme de ses yeux, et qui vaudrait mille mots. Lui dire sans savoir si elle m'entend, que j'irai à Jacmel, saluer le lieu de sa naissance et de nombreux jours heureux dans notre vie d'avant, c'était il y a longtemps.
Et puis j'ai écrit à Martine, mon amie haïtienne de longue date, pour qu'elle me dise comment on se raccroche au pays après "bagay la", "la chose", comme on préfère parler du séisme là-bas, pour ne pas le nommer et pour conjurer le sort. Elle m'a tout de suite répondu. "Presque deux mois après le séisme. Le choc initial un peu résorbé. Une certaine maitrise de la panique causée par les répliques s'installe. Les moments initiaux des deuils sont vécus. Il faut se remettre debout, continuer de vivre, malgré les pertes incommensurables.Tu vas arriver, et prendre de plein fouet cette nouvelle topographie de nos lieux. C'est notre mémoire qui est attaquée. Ici, beaucoup de nous relatent qu'ils ont des trous de mémoire, et sont désorientés. Parfois, ils ne se souviennent pas de ce qui était là, dans cette rue qu'ils empruntaient chaque jour. Cette blessure va faire remonter sans doute la douleur de la maladie de ta mère. Mais n'oublie pas que les gens ici sont en train de se remettre debout, et que tu es venue les rencontrer, au sens fort. Cela va être dur, mais tu as assez d'amour et d'abnégation pour ce dur chemin."
Voilà qui résume ce qu'il me faut savoir, entendre, recevoir et faire.
