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42ème Point des arts
Athènes (Grèce), le vendredi 30 octobre 2009,
J’avoue qu’aujourd’hui, en tant que cinéaste et écrivain, je ressens un très grand plaisir en ouvrant cette rencontre et ce dialogue avec vous, ici, à Athènes.
Depuis plus de vingt ans, le cinéma m’a permis d’aller là où je ne serais jamais allé si je n’avais pas eu de films à faire, pour raconter des histoires, pour provoquer la réflexion en interrogeant les identités, les nationalismes, l’exil, les révolutions, les rapports entre l’artiste et la politique, la liberté, mais aussi pour dénoncer la barbarie, l’intolérance, le racisme, l’exclusion. Le cinéma que je fais, le cinéma documentaire en particulier, m’est aussi essentiel que l’oxygène, il est mon bâton de philosophe, il est l’outil socratique par excellence, celui de la découverte de l’Autre, de l’ouverture, de la connaissance et du partage avec le public.
Muri en France à l’ombre de la philosophie que j’ai enseignée, du théâtre, de la radio, de la critique et de la réflexion théorique, le cinéaste en moi s’est épanoui au Canada, et en particulier au Québec, où j’ai pris racines, il y a 30 ans. Ces trente dernières années ont été assurément capitales pour moi, mais elles ont été déterminantes aussi dans l’évolution de notre cinématographie, de nos institutions, de nos savoir-faire, tant dans la création, que dans la production et la diffusion de nos œuvres.
J’ai été de tous les combats au cours de ces années et parfois aussi des défaites. Les combats professionnels pour assurer le respect des métiers du cinéma et celui des auteurs en particulier, les combats institutionnels pour les politiques de financement, les relations avec les télévisions, le développement spécifique du documentaire en créant en particulier les RIDM en 1997, dont j’ai été le président jusqu’en 2005, et qui fêtent leur douzième anniversaire dans quelques jours. J’en passe. Je suis sûr que mes collègues grecs connaissent bien la chanson.
C’est une raison de plus pour faire de cette rencontre aujourd’hui, un état des lieux de nos cinémas respectifs, et, pour tracer un portrait du présent, bien sûr, à la lumière de nos passés, mais surtout de porter un regard sur l’avenir avant que la mondialisation ne le transforme en destin.
De fait, les bouleversements technologiques planétaires qui affectent nos modes de production, de réalisation et de diffusion précipitent l’urgence de la réflexion et des actions solidaires et planétaires des créateurs et des artisans du cinéma.
Actuellement, les nouvelles plateformes de diffusion sont en train de modifier la relation avec les publics. Nous commençons à peine à mesurer l’impact de ces changements majeurs sur la société civile, la vie politique et la culture.
Les nouveaux dispositifs technologiques permettent -sans être un professionnel, ni un créateur reconnu- de produire des contenus numériques tout à fait viables – et diffusables – avec une qualité d’image, de son, de graphisme, de vidéo, de textes qui rivalisent avec les normes de qualités que seul, jusque-là, des spécialistes pouvaient atteindre.
Il y a donc un impact réel des nouvelles technologies et des nouvelles plateformes sur l’ensemble de la chaîne de production et de diffusion dont le modèle était jusqu’à maintenant exclusivement réservé aux professionnels.
Aujourd’hui la reproduction des contenus numériques se fait à un coût marginal pour une diffusion aussi instantanée que mondiale. La révision et la restructuration du modèle de financement, de création, de production et de diffusion du cinéma et du documentaire en particulier sont donc inéluctables à court terme.
La relation entre le créateur, l’œuvre et le spectateur est en pleine mutation.
Techniquement, il est vrai que les innovations vont à une vitesse folle. Le numérique prend de l’ampleur à l’échelle planétaire et l’analogique aura disparu bientôt des écrans. Le 3D se prépare à venir modifier radicalement la perception de l’image. La haute-définition gagne partout du terrain et les Centres de divertissement numérique font déjà partie des réalités domestiques. Le téléchargement modifie de plus en plus les habitudes des consommateurs d’images et de sons, à tel point que le cinéma de papa pourrait devenir une curiosité muséale.
C’est vrai, la culture mobile (iPod, iPTV, iTV, Mobisode) vient bouleverser les modes de réception et d’utilisation des films. Les médias mobiles sont non seulement sans fil, mais aussi sans lien à l’espace et au temps. Le spectateur n’est plus « captif » dans une salle de cinéma ou dans son salon. Il peut regarder le produit n’importe où et à n’importe quel moment de la journée.
De son côté, et on le constate très nettement au Canada et même ailleurs, la télévision ne peut que faire alliance avec le web si elle veut maintenir sa relation au public et son influence sur les générations futures.
Je crois qu’il y a dans cette alliance avec le Web une seconde vie pour le cinéma et pour le documentaire en particulier. C’est déjà en marche : au Canada, l’ONF vient d’ouvrir, samedi dernier, son nouveau site internet qui propose en streaming plus de mille films, incluant des films formatés spécifiquement pour le Iphone. Grâce à l’internet, j’ai pu avoir accès à un grand nombre de films documentaires grecs disponibles sur greece-online.org. D’ailleurs, je peux dire qu’il est plus facile de voir des documentaires grecs sur le web que des fictions, ce qui est d’autant plus regrettable qu’elles ne sont que rarement présentes dans les salles de cinéma au Canada. Heureusement, il reste les festivals sans lesquels on verrait très peu de films étrangers et différents des blockbusters dans nos pays respectifs.
Nous sommes face à la nécessité de trouver une autre façon de respecter la diversité culturelle, de gérer les droits, de protéger les œuvres.
Il faudra donc très vite inventer de nouveaux chemins pour accueillir et financer le cinéma tout en protégeant sa spécificité d’œuvre de création. Car aujourd’hui la capacité de faire des images appartient plus que jamais au savoir-faire commun, presque banal. Ceux que l’on appelle en anglais les pro-ams (Professional-amateurs) sont de plus en plus nombreux sur le web. C’est une réalité qui vient bouleverser l’écriture, l’esthétique et les habitudes de consommation des images. Est-ce que pour présenter des œuvres à des yeux habitués à ces nouvelles esthétiques, les professionnels de l’image seront forcés de désapprendre à créer des images?
En bref, la révolution internet – et la révolution numérique – remettent en question les modes de production, d’écriture et de diffusion. Globalement, elles interpellent notre rapport à l’image, aux images, à l’imaginaire, et, dans le cas du documentaire au vrai, au faux, à la vérité et au mensonge.
Dans la situation actuelle, Grecs et Canadiens, nous avons sans doute beaucoup à mettre en commun et à apprendre les uns des autres. Quelle est la situation de la production, de la diffusion, de la consommation des images, des films de fiction, des documentaires, en Grèce, au Canada ? Quelles sont vos réflexions ? Quelles relations avons-nous, Grecs et Canadiens, actuellement à travers les coproductions, la distribution de nos films, les festivals? Quels échanges souhaitons-nous ? Quelles solidarités développons-nous ou pourrions-nous développer?
