Son Excellence Jean-Daniel Lafond - Association canadienne des organismes artistiques (CAPACOA)

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22ième conférence CAPA COA :
AU CANADA, LA CULTURE A CHANGÉ DE SENS
(http://www.capacoa.ca)

Calgary, le samedi 7 novembre 2009

Au Canada, le mot culture a changé de sens, au même moment il a subi une mutation mondiale. Ce qu’on désigne aujourd’hui par culture déborde largement le cadre de l’art et de la création, il englobe des phénomènes sociétaux très divers, du tourisme à la communication. C’est comme si l’art et la pensée n’avaient plus le monopole du sens. Les technologies informatiques nouvelles et leurs excroissances internet (de Youtube à Facebook) peuvent donner à chacun « son quart d’heure de célébrité » pour reprendre l’expression d’Andy Warhol. Chacun, devant la possibilité de ces nouvelles technologies, se découvre artiste à la mesure de ses fantasmes et de l’extension enivrante de son ego et s’approprie ainsi une « nouvelle subjectivité » sans apprentissage spécifique ni savoir particulier.

Dans l’acception du terme « culture » aujourd’hui l’art est une composante qui n’est plus tout à fait centrale. La communication est en train de prendre toute la place, si bien que les médias apparaissent comme des véhicules privilégiés de la pensée, plus importants que la littérature, le théâtre, la musique, la peinture…  Les formes d’art se sont multipliées, leur champ s’est élargi à un périmètre toujours plus grand qui déjoue toutes les étiquettes. La culture est partout jusqu’à risquer d’être nulle part. Elle recouvre la société en entier, des laboratoires de recherche aux réseaux diplomatiques en passant par la politique locale, provinciale et fédérale, celle des communautés, des villes, jusqu’aux relations internationales, cela dans un certain brouhaha et une certaine confusion.

Loin de moi l’idée d’opposer la culture locale à la culture du monde, le provincial au fédéral, mais cela a un grand besoin d’être harmonisé. Il faut éviter que l’action culturelle se pulvérise, se balkanise en une multitude de petits pouvoirs qui se perdent en doublons et en luttes stériles. Avant tout, il convient de garder en tête la défense du libre accès des citoyens à la culture. Pour cela, la diversité culturelle canadienne est une richesse qu’il faut prendre en compte de façon dynamique pour contrer cette propension à la gestion parcellarisée de la culture issue d’une application trop mécaniste du multiculturalisme.

Aujourd’hui la mondialisation est une évidence. Le monde libéral ne connaît plus vraiment de limites techniques ou idéologiques. Cependant la culture ne peut pas être uniquement soumise aux lois du marché, sinon les formes « non rentables » vont être de plus en plus menacées et même disparaître. Déjà de nombreux domaines –et pas seulement de la culture- ne pourraient survivre sans un appui ferme de l’État. Le cinéma d’auteur, le théâtre et la littérature de création, les arts visuels émergeants ne pourraient pas résister à la sélection par les lois du marché qui régissent le secteur privé. Le mécénat ne peut donc pas être le remède absolu, la loi de la jungle qui en dériverait, éliminerait très vite les œuvres qui ne méritent pas de durer à l’aulne de la rentabilité.

On peut m’objecter que de grands poètes et de grands peintres n’ont jamais été subventionnés, ont même vécu et créé dans la pauvreté, parfois dans une profonde détresse, et que leurs œuvres ont été malgré cela reconnues et célébrées. Soit. Mais seraient-elles encore vues aujourd’hui sans l’aide de l’État qui protège la mémoire et assure l’avenir en subventionnant éditions et expositions?

Il revient en effet à l’État de protéger tous les écosystèmes dans ce monde où les effets de la rentabilité risquent d’épuiser les réserves et les ressources naturelles. Dans cet esprit, il est responsable de la protection de l’écosystème de la culture, tout en reconnaissant que l’économie de marché peut produire de grandes œuvres, mais pas dans tous les domaines.

Comprenez-moi bien, je ne défends pas ici une conception étatique de l’art et de l’esthétique. Au contraire, nous devons nous méfier d’une culture et des arts assujettis au pouvoir fut-il démocratique; par contre il faut prendre les mêmes précautions à l’égard d’une culture qui serait soumise à l’esthétique du marché. Tout ne peut être réduit au solvable, au mercantile. Le rapport entre l’État et le privé doit se faire dans un dialogue ouvert où les enjeux de la culture doivent primer sur ceux des affaires.

C’est quand l’action de l’État est la plus forte que les mécènes s’engagent en complément et non en remplacement des fonds publics. La culture ne peut pas être pensée en terme de dépenses improductives ou de luxe nécessaire, quand il s’agit en fait d’un large secteur de l’économie qui concernent les provinces autant que l’État fédéral et qui fait vivre plusieurs centaines de milliers de personnes.

Par exemple, le quartier Saint-Roch est un des plus vieux faubourgs de la ville de Québec. Situé près du pont, de la voie ferroviaire et des grands lieux d’entreposages portuaires de la Basse-Ville, ce fut un espace idéal pour le développement des manufactures commerciales et industrielles dès le XVIIIe siècle. Tout autour les employés, les commerçants se sont installés et ont créé une vie communautaire dynamique et cosmopolite. L’essor économique a perduré pendant deux siècles, puis a décliné au milieu du XXe pour s’éteindre définitivement entre 1960 et 1970. Conséquemment, les commerces, le développement social et la vitalité culturelle ont subi le même sort. Le quartier s’est transformé en désert urbain, il est devenu celui des laissés-pour-compte, de la drogue, de la prostitution, de la violence. L’administration de la ville l’a oublié et a préféré développer des banlieues sans âmes.

Il faudra attendre 1992 pour que la ville de Québec créé un programme de revitalisation qui va relancer l’économie du quartier, l’urbaniser en lui restituant sa mémoire et sa richesse patrimoniale, tout en proposant un mode de vie ouvert sur le temps présent et la modernité : logements à prix modestes, stratégies de développements sociaux et culturels, possibilités, pour les citoyens, de vivre et de travailler dans le même quartier.

De plus, le programme offre un support technique aux artistes et aux développeurs économiques qui s’installent dans le quartier. Depuis 2000, 380 millions ont été investis dans Saint-Roch afin de restaurer, rénover, reconstruire et recréer le dynamisme d’autrefois. Aujourd’hui, on y retrouve des salles de spectacles, des troupes de théâtre, des studios pour les musiciens, des galeries d’art et des boutiques d’artisanats. Le quartier est devenu un espace d’échange et de création ce qui inspire et attire de nombreux habitants et beaucoup de visiteurs.

La culture doit donc être pensée comme un acteur de la vie économique de l’ensemble du Canada qui produit une « valeur ajoutée » au patrimoine national et développe un bassin de travailleurs-créateurs dont l’effervescence créative insuffle des énergies nouvelles dans la société bien au-delà de leurs champs de compétence. En conséquence une création soutenue et florissante a un impact très positif sur le dynamisme des recherches dans les autres domaines des technologies tout en intégrant de plus en plus les métiers de la culture dans la vie sociale.

Selon le magazine Macleans du 4 juin 2009, Calgary est la ville canadienne où les habitants dépensent le plus dans les arts et la culture : 41.5% pour assister à des spectacles vivants, 53.5 % pour visiter un musée et 52.2% pour une activité liée aux arts et à la culture. Selon le dernier recensement en 2006, Calgary occupe la deuxième position au palmarès des villes qui se développent le plus rapidement au pays. De cela on peut conclure que le boom économique  facilite le mécénat culturel et que chacun y trouve son compte : les artistes obtiennent le support financier nécessaire à leur survie et à leur développement, tandis que le monde des affaires a conscience de la valeur sociale et économique de l’art et de l’importance d’investir aujourd’hui dans la créativité.

Ce constat me porte à croire, qu’actuellement au Canada, la culture est en train de changer de sens. Petit à petit, on reconnaît la valeur de la création dans la survie de nos sociétés néolibérales et hyper-technologiques, et conséquemment, la perception du rôle des artistes est en pleine mutation. J’en veux pour preuve supplémentaire le fait que les médiateurs et les intermédiaires entre l’art et la société se sont multipliés et continuent à se multiplier. Voilà qui est un bon signe, à condition que cela ne se fasse pas aux détriments des agents essentiels; les créateurs. Les lieux des institutions se sont multipliés également, souvent sur la base des projets des artistes, ne les oublions pas dans leur diversité. Subventionner les artistes ne doit impliquer aucune sujétion idéologique en contrepartie. La culture n’est pas l’enjeu d’un parti politique mais le souci premier d’une société qui ne veut pas mourir. Car un pays qui néglige sa culture est un pays qui court à sa perte.

Les créateurs et les artistes ne doivent pas être les prestataires de service d’une vie culturelle à la gestion de laquelle ils ne participent plus. Il faut donc garder présent la dynamique vivante des créateurs dans les structures de la gestion de la culture. Pour cela, il est essentiel de maintenir un relai entre les différents centres et de les maintenir en réseau, au risque, sinon, d’une atomisation néfaste et qui transformerait la richesse de la diversité en foire d’empoigne où s’exerceraient le clientélisme politique et le mécénat sélectif.

C’est dans cet esprit que j’ai proposé, il y a quatre ans maintenant, de créer dans le cadre du mandat de la Gouverneure générale, mon épouse Michaêlle Jean, le Point des arts/Art Matters. Sachant l’importance qu’elle accorde aux arts et à la culture comme facteur de socialisation, je souhaitais qu’à l’occasion de la remise des prix qui célèbrent à Rideau Hall le talent de nos artistes, nous puissions offrir plus qu’une cérémonie protocolaire, plus qu’un diner , excellent au demeurant et riche en rencontres,  à nos nombreux invités, aux lauréats et au public. Ainsi est née l’idée du Point des arts/Art Matters qui correspond au désir d’offrir un espace de discussion, de réflexion et de connexion qui relie les diverses disciplines artistiques, les  instances culturelles et le milieu des affaires. Depuis, le Point des arts/Art Matters s’est étendu au visites officielles aux quatre coins du pays et même à l’étranger à l’occasion des visites d’État. Au moment où je vous parle, 42 forums ont été tenus, dont un bon nombre s’est déroulé en public. Des centaines d’artistes, de gestionnaires, de chercheurs, de mécènes, ont répondu présent et ont participé à ces débats sur une culture en mouvement, sur des formes de diffusion nouvelles et sur des rapports au public sans cesse repensés.

Les artistes ont parlé de leur création, de leur responsabilité sociale, de leur vision du monde, de leur engagement, de leurs aspirations. Nous avons discuté des défis des nouvelles technologies et des nouveaux supports de diffusion, des liens que l’artiste entretien avec les citoyens, du besoin d’espaces pour créer et du besoin de reconnaissance. Nous avons écouté les artistes parler de leurs expériences dans leurs différentes communautés et de leurs réalisations parfois à l’étranger. Une fois évoqué le parcours et les défis personnels, lors de chaque discussion, s’est posée la question de l’identité : « qu’est-ce qu’un artiste canadien, qu’est-ce que l’art canadien ».

La singularité de l’artiste canadien et de sa création s’est souvent exprimée en termes de comparaison ou d’opposition. L’artiste canadien n’est pas un artiste étatsunien, ni britannique, ni français… On sait ce qu’il n’est pas reste à savoir ce qu’il est et ce qui fait le caractère unique de sa création. Impossible en tout cas de donner une définition figée aussi bien de la culture que de l’identité canadienne car les deux sont à la fois en mouvement, changeantes et composées telle une mosaïque de facettes multiples.

Voilà un premier élément de réponse, un premier signe distinctif : ce qui caractérise notre identité et notre culture c’est la diversité. Dans son ouvrage On being Canadian, le gouverneur général Vincent Massey en 1948 vante les mérites de la diversité : " We have plenty of colours and lights and shades in our make-up. Canada is no monochrome of uniformity.” Comme ce grand défenseur des arts et des lettres, je partage intimement la conviction que la lutte pour l’identité de notre pays est aussi un combat pour assurer la survie de la culture canadienne.

Il apparait évident que l’art et la question de l’identité sont intimement liés, on ne peut prétendre défendre l’identité canadienne si on ne se bat pas chaque jour, sans relâche, pour le dynamisme de notre culture. Une culture MADE IN CANADA : Comme ces étiquettes au dos de nos vêtements. Mais nous nous sommes assez battus pour la  Convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles,  entrée en vigueur depuis quatre ans , pour refuser d’assimiler la culture à un produit comme les autres. Vous, qui chaque jour, bataillez dans vos communautés, pour la défense de la culture dans ce quel a de plus unique et de plus varié, êtes déjà convaincus que l’art n’est pas un produit comme les autres et que, comme certains le souhaitent on ne peut pas broyer la culture et la noyer dans le magma d’un commerce sans âme..

Nous avons toutes les raisons d’être fiers de la culture made in Canada; elle témoigne du dynamisme de nos artistes et des institutions culturelles de ce pays. De même que nous sommes fiers de savoir que le Canada compte plus de 130 000 artistes. Fiers aussi de savoir que le nombre d’artistes a plus que triplé entre les années 1970 et les années 2000. Fiers enfin de voir nos artistes voyager partout au pays et à l’étranger. Cette fierté qui est partagée par la majorité a un prix que la conscience sociale collective ne doit pas ignorer et surtout se doit d’assumer avec la même fierté!  Sur ce point, je crois qu’il faut saluer le dynamisme et l’entêtement de cette communauté artistique qui malgré des moyens souvent minimes réussit à maintenir un remarquable niveau d’excellence. Voilà qui devrait encourager les efforts des institutions fédérales, provinciales, municipales et le secteur privé qui tous ensemble soutiennent les créateurs et leurs créations.

À l’heure d’internet, des transports plus faciles et rapides, les lois protectionnistes, les quotas pour garantir la présence d’œuvres canadiennes dans les médias, la diffusion de films canadiens sont d’une nécessité extrême mais elles ne suffisent plus. Qu’est-ce qui donnera envie d’aller au Musée de Glenbow plutôt que de regarder des reproductions sur internet ? Qu’est-ce qui donnera envie d’aller à un concert de l’Orchestre symphonique de Montréal plutôt que d’en regarder la retransmission à la télévision ? Qu’est ce qui donnera envie de lire le dernier roman de Alice Munro plutôt que de se précipiter sur le nouveau bestseller de Dan Brown ?

Ce qui nous motive, parfois sans le savoir, c’est la dialectique de la rencontre entre la création et le citoyen. Être séduit et avoir envie d’entamer le dialogue. Séduit par une œuvre, ce citoyen spectateur entre dans l’univers de l’émotion, de la réflexion, et de l’imagination. La rencontre, c’est aussi ce miroir de l’art qui nous renvoie à des questions existentielles et métaphysique radicales sur le sens de la vie et sur l’ordre du monde : « Qui suis-je ? Qui sommes-nous ? ». Face à cette interrogation infinie, la création artistique  nous accompagne en prenant le risque d’aller vers l’inconnu, de briser les silences et les tabous, de rendre possible l’impossible, de dire l’indicible, et de nous faire rêver, en bref, la création artistique prend le risque, sans cesse renouvelé, d’humaniser l’inhumanité.

Par exemple, l’œuvre de l'artiste Ron Noganosh d'origine ojibwa, né dans la baie Géorgienne qui a grandi sur la réserve Shawanaga en Ontario parle de nous. Le bouclier, cet objet autochtone archétypal est au cœur de son travail. Des plumes, des perles, la pure tradition qui dit l’histoire, mais quand on y regarde de plus prêt et qu’on s’approche un peu, surprise, des canettes de bières, des vestiges du présent, qui racontent aussi les conditions de vie actuelles. Voilà une œuvre qui dit qui nous sommes, notre passé et notre présent.

Mélange de la grande histoire ancestrale et du quotidien, métissage de la tradition et de l’objet contemporain commercial, voilà de quoi est aussi fait notre culture. L’historienne de l’art Jocelyne Lupien résume en ces termes :  « l'identité culturelle des individus en Amérique du nord résulte d'une fusion entre l'ici et l'ailleurs, entre nous et l'autre, voire les autres, entre les mythologies sacrées et les croyances populaires »

Une culture forte c’est une culture qui accueille les influences riches et variées qui font le Canada d’aujourd’hui, à la fois le passé de ce pays et le passé de ceux qui viennent peupler cette terre d’immigration.  Une culture forte c’est une culture qui a envie de construire sur ces passés, un présent et un avenir.  Une culture forte, c’est une culture qui s’impose comme une nécessité et un facteur de mieux-vivre pour la société dans laquelle elle s’épanouit. Elle relève alors d’un désir collectif, d’une responsabilité partagée par la population et les créateurs. Elle implique un réseau qui associe les artistes, le public, les administrateurs des arts, les universitaires autour de la conviction que l’art est une ressource essentielle bien sûr, mais aussi une ressource renouvelable qu’il faut protéger. Lors d’un Point des arts national que nous avons organisé  au Centre Banff en avril 2008 pour faire un bilan des 24 rencontres que nous avions tenues à travers le pays, les participants ont vite compris qu’il était de leur devoir – comme artistes, décideurs, chercheurs, responsables culturels- de répandre , auprès de l’ensemble des Canadiens que, comme l’air et l’eau, la création, l’imagination et les idées rendent la vie plus vivable. À tel point qu’en conclusion de ce séminaire nous avons adopté la devise suivante: les arts rendent la vie plus intéressante que l’art. C’est donc à nous tous –et c’est ce que nous faisons avec le Point des arts- qu’il revient de partager cette idée, de la faire résonner quotidiennement dans nos communautés pour que les citoyens se saisissent de cette urgence d’agir ensemble, pour le bien commun qu’est la culture.

La garantie d’une mise en réseau exempte d’affrontements idéologiques, de la concurrence marchande et des lobbies corporatistes est une nécessité pour donner à l’art son plein rôle sociétal dans le monde contemporain. Le développement d’un réseau doit se faire au profit des artistes et des acteurs culturels, en ce sens les médiateurs ne doivent pas devenir plus «médiatisés» que les artistes.

Ce qui crée le Canada, ce sont ceux et celles, créateurs et créatrices, qui créent au Canada. Nous devons garder à l’esprit que le désir d’une nation reste un mystère à révéler et que l’artiste est celui qui se souvient de l’avenir.


La culture au Canada vit sur plusieurs paliers de gouvernement et de décision. Il n’y a rien là de négatif si l’on aborde cette réalité à la lumière des enjeux contemporains. Du local au provincial, du provincial au fédéral, et, de cet ensemble à l’international avec des préoccupations universelles, aucune catégorie de l’art et de la culture ne peut échapper à cela pour vivre et survivre. C’est cette dynamique qu’il convient de vivifier et d’activer avec le plus d’efficacité possible. Le rayonnement de la culture canadienne dans sa diversité repose sur la circulation à l’intérieur et à l’extérieur du pays et sur l’harmonisation des efforts.

Notre ministère des affaires étrangères n’a pas les moyens de mener une politique culturelle digne de ce nom. Il convient donc de développer un secteur de réflexion et d’action qui fera se croiser les réalités de la culture au Canada avec des outils adaptés au travail diplomatique. La diplomatie culturelle est un des atouts majeurs des relations internationales au XXIe siècle. La réalité de l’internationalisation n’est pas une affaire que chacun peut régler pour soi au sein de la fédération canadienne. Elle doit être prise en compte par les différentes instances culturelles provinciales avec une représentation harmonisée au niveau fédéral par des réunions régulières. Sans cela, il est difficile sinon impossible de faire en sorte que le Canada soit pris en compte dans la circulation mondialisée des savoirs.

Quel rôle peuvent alors jouer la culture, les arts, la créativité dans la société? La culture a sa part à faire dans l’éducation, dans la diplomatie, dans l’économie et dans les droits de l’homme. Elle participe du sens même de la démocratie (dont elle est un des garants), de l’égalité des chances, qui ne doit pas céder –mais au contraire s’équilibrer- devant la médiatisation, devant la montée vertigineuse des technologies de la communication et l’hypertrophie de l’économisme. Elle est l’antidote aux maux de civilisation qui caractérisent notre époque : l’individualisation qui s’est propagée au cours des trente dernières années en permettant une plus grande autonomie du sujet, un développement des libertés et des responsabilités personnelles a provoqué des dégâts collatéraux dans nos modes de vie. Selon le sociologue français Edgar Morin, cette individualisation  « a eu pour envers la dégradation des anciennes solidarités, l’atomisation des personnes, l’affaiblissement du sens des responsabilités envers autrui, l’égocentrisme et, tendanciellement, ce qu’on a pu appeler la métastase de l’ego » [1].       

Le Canada n’est pas à l’abri de ces maux de civilisation que seule une profonde réhumanisation de la vie quotidienne peut enrayer. Et cette politique de civilisation (pour reprendre l’expression d’Edgar Morin) exige l’apport des arts, de la culture et de la créativité comme pouvoir de créer du bonheur. C’est la condition pour que se régénère notre tissu humain et social. En ce sens, la culture fait partie d’un projet civilisationnel dont l’enjeu est plus radicale et plus profond pour l’avenir du Canada, puisque l’essence du Canada et celle de sa diversité culturelle ne font qu’une.

En ces temps de crise (économique et de civilisation), n’y a-t-il pas derrière tout ça la possible formulation d’une nouvelle utopie? Ne sommes-nous pas devant un questionnement du sens qui pourrait nous aider à bâtir les fondements d’une nouvelle organisation sociétale, une autre forme de « vivre ensemble » avec la culture comme centre même de la vie politique et -pourquoi pas?- comme le projet d’un avenir commun.

C’est pourquoi, quand le mandat de la Gouverneurs générale, je me dis que nous ne pouvons en rester, que ce nous avons fait, ce que nous avons appris, les liens que nous avons tissés, les besoins qui ont été exprimés par les artistes, le public, les jeunes, les décideurs, les gens d’affaire, et nos propres convictions, nous imposent le devoir de poursuivre cette mission au-delà du mandat. Nous pensons que la création d’un organisme apolitique, consacré à la recherche, à la réflexion et à l’action culturelle tant nationale qu’internationale serait de très grande utilité publique et que cela s’inscrit dans la suite logique des actions que nous menons dans le cadre du mandat de la Gouverneure générale du Canada. Ce fut une valse à trois temps : un temps pour brasser la culture , un autre temps pour penser la culture et enfin un temps pour l’action.

En réalité, je peux affirmer aujourd’hui que ces trois moments n’en font qu’un, celui d’une culture vivante, dans une société vivante.





[1]Edgar Morin ,Pour une politique de la civilisation, éditions Arlea, 2002.