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Toronto, le mardi 16 septembre 2008
Je suis tellement heureuse d’être avec vous ce soir. Heureuse de dire : Nous sommes les Amériques.
Nous sommes les Amériques : une fusion unique de couleurs, de cultures et d’idées; une communauté cosmique, comme le veut un concept mexicain, une communauté cosmique qui s’étend de la Terre de feu, terrain aride de l’Argentine, jusqu’à la toundra de Tuktoyaktuk dans l’Arctique canadien.
Notre essence est enracinée dans les civilisations florissantes des Amériques de l’époque précoloniale, dans la sagesse ancienne de l’Afrique, dans l’esprit aventurier de l’Europe, et dans la ténacité et la détermination de l’Asie.
Ne l’oublions pas! Nous sommes les héritiers d’une fabuleuse histoire faite de courage, de ténacité et de solidarité.
C’est l’histoire de millions de femmes et d’hommes, libres et esclaves, qui ont uni leurs efforts pour briser le carcan de l’empire, de l’esclavage et de la tyrannie, pour donner une voix aux sans-voix et pour que partout triomphent la liberté, l’égalité et la démocratie.
Ce combat se poursuit jusqu’à maintenant.
Car les citoyennes et les citoyens de toutes les Amériques tentent de redéfinir le lien social afin que toutes et tous aient une chance égale de se réaliser pleinement et d’acquérir l’énergie, l’énergie créatrice de la jeune génération.
Or, ce travail ne peut se faire dans les coulisses.
Notre histoire nous enseigne d’ailleurs que le changement social implique familles et amis.
Qu’il émerge sur les coins de rue du barrio ou de la favela, dans les champs et les vergers des campagnes, et au cœur des petits villages et des réserves.
Qu’il se poursuit au sein d’organisations communautaires, d’universités, d’institutions culturelles et publiques et de coalitions citoyennes.
Il est souvent inspiré par une quête « d’égalité » plus élevée, plus universelle, comme l’a exprimé un jour le grand libérateur de l’Amérique du Sud, Simon Bolivar, « visant à reformer… l’espèce humaine… en un tout. »
Nous savons tous que les enjeux sont de taille dans les Amériques.
Les disparités entre les riches et les pauvres—entre les élites et nos populations indigènes et de descendance africaine—ne font qu’exacerber l’exclusion et l’aliénation sociales.
La toxicomanie intensifie le violent commerce de la drogue, qui menace de déstabiliser notre communauté des nations.
Le nombre croissant de pandémies mortelles dues au VIH/sida, entre autres, amène également la misère et la souffrance à nos portes.
Et ce sont les jeunes qui sont parmi les plus touchés par ces dures réalités.
Combien d’entre vous avez vu comment l’intolérance et la discrimination peuvent anéantir les rêves?
Combien d’entre vous avez vu comment la pauvreté peut engendrer l’insécurité et le crime?
Combien d’entre vous avez vu comment la violence contre les femmes peut déchirer des familles?
Chers amis—combien d’entre vous avez perdu un être cher, victime d’un acte de violence, victime de la détresse, victime du VIH/sida ou victime de la drogue?
Ce sont de graves problèmes, des problèmes réels.
Mais il ne faut pas céder au découragement.
Car notre histoire est là pour nous rappeler que point n’est nécessaire de demeurer des victimes; que nous possédons tous, au plus profond de notre être, ce qu’Abraham Lincoln appelait une « divine étincelle ».
Une étincelle qui nous donne le pouvoir de renverser la vapeur.
Une étincelle qui nous permet de rassembler nos efforts pour le bien de l’ensemble.
Une étincelle qui peut raviver de nouveau les Amériques grâce à un inspirant message d’espoir et de transformation sociale. Raviver le monde grâce à un inspirant message d’espoir et de transformation sociale.
Et plus que jamais, je suis persuadée que les jeunes artistes, en particulier, peuvent y arriver! Car l’étincelle est en vous, les jeunes des Amériques.
C’est vous, j’en suis convaincue, qui êtes en mesure de nous aider à transformer les lieux où règnent pauvreté et désespoir en espaces d’espoir et de tous les possibles.
Pourquoi?
Parce que j’ai vu de mes propres yeux comment les artistes apportent un regain de vie dans leurs quartiers et leurs collectivités d’un bout à l’autre des Amériques.
Durant la première année et demie de mon mandat, j’ai eu le privilège de parcourir le Canada et d’aller à la rencontre des citoyens et citoyennes là où ils vivent.
J’ai été frappée de voir tant de jeunes utiliser les arts sous toutes leurs formes — hip-hop, graffiti, « spoken word », animation, film, théâtre, ou « popping et locking » — pour lutter contre l’exclusion, la violence, le crime et l’apathie.
Qu’il s’agisse de la Quickdraw Animation Society à Calgary, de la Maison des jeunes de la Côte-des-Neiges à Montréal, du Centre A à Vancouver, de la Saw Gallery à Ottawa, de la TOHU à Montréal, du Centre Jacques Cartier et à La Maison Dauphine à Québec, ou, bien sûr, du Remix Project à Toronto, d’Écoles sans frontières et de Manifesto à Toronto, les jeunes ont trouvé dans les arts un outil puissant et efficace leur permettant d’apporter des changements significatifs.
Même au cours de mes visites d’État et visites officielles en Amérique latine, j’ai été touchée de constater ce même esprit d’engagement et de solidarité.
Permettez-moi de vous en donner quelques exemples.
À Salvador, au Brésil, par exemple, j’ai passé tout un après-midi avec des membres de GAPA-BAHIA, un organisme communautaire axé sur les arts, qui encourage des jeunes de quartiers pauvres à utiliser le théâtre, le hip hop et le breakdancing pour sensibiliser leurs pairs aux problèmes du VIH/sida, du racisme, de la violence et de l’homophobie.
À Rio, j’ai appris comment Afro-Reggae et Vivir e Crescer, deux organisations dynamiques, mélangent la culture afro-brésilienne au hip-hop et aux arts du cirque pour habiliter des jeunes des favelas.
En Haïti, j’ai rencontré la troupe Haïti en Scène, qui mêle la musique traditionnelle haïtienne au rock et au jazz pour permettre aux jeunes de milieux défavorisés d’échapper au crime en se tournant vers les arts.
En Argentine, j’ai pris le temps de discuter avec les résidents d’un des barrios les plus pauvres de Buenos Aires, à La Cava, un organisme qui montre aux jeunes comment exprimer leurs idées et leurs aspirations à l’aide du film et de l’animation.
Partout où je suis allée, j’ai entendu le même message :
« Les arts m’ont sauvé la vie. »
« Les arts m’ont aidée à trouver ma voix. »
« Les arts m’ont donné le pouvoir de remplacer la violence par des mots. »
Ce que j’ai entendu m’a tellement enthousiasmée que j’ai décidé de lancer le Forum de la gouverneure générale sur les arts urbains en 2007.
Cette initiative rassemble des artistes urbains, des législateurs, des responsables des politiques, des philanthropes, et des leaders du milieu des affaires et du secteur communautaire et ce, pour une même raison : améliorer les conditions de vie dans les quartiers défavorisés du Canada.
Ces forums se fondent sur le principe voulant que les grands problèmes auquel le monde fait face aujourd’hui ne pourront être résolus si les jeunes ne sont pas des partenaires égaux et ne sont pas considérés comme faisant partie de la solution.
J’ai tenu ces forums dans six villes d’un bout à l’autre du Canada, une expérience des plus incroyables!
Dans plusieurs cas, les forums sont devenus des catalyseurs qui ont incité des artistes, des gens d’affaires et des décideurs à collaborer de manières inédites.
À titre d’exemple, j’ai tenu l’an dernier un forum à Winnipeg, à la Graffiti Gallery située dans le quartier North Point Douglas à prédominance autochtone.
Là, au milieu de témoignages poignants, deux fillettes de dix et onze ans ont eu le courage de lire devant l’auditoire une lettre ouverte sous forme de poème.
Dans cette lettre, elles expliquaient comment la violence, les drogues et l’intimidation qui sévissent dans leur quartier les faisaient craindre pour leur vie.
Leur éloquence et leur bravoure ont incité la communauté tout entière ainsi que des ministres du cabinet provincial, des leaders du milieu des affaires et les services policiers à unir leurs efforts et reprendre en main le quartier de North Point Douglas en y éliminant les gangs.
Un an plus tard, la communauté recueille les fruits de son labeur.
En effet, le crime aurait diminué de 70 %.
Plus de 30 fumeries de crack ont été condamnées.
Les résidents ne craignent plus de marcher dans leur quartier.
Vous voyez, je n’étais pas allée à Winnipeg avec une subvention d’un million de dollars en poche ni avec une armée d’experts.
Non, j’y étais allée, animée du désir d’offrir aux gens une occasion de se rassembler.
Animée de la foi en l’esprit innovateur et créatif des jeunes.
Animée de la conviction que l’art est un outil de changement social indispensable.
Animée du désir de donner une voix aux sans-voix.
Animée du devoir de veiller à ce que les décideurs de tous les secteurs soient au courant de ce qui se passe au niveau local.
Chers amis, se rassembler pour le bien de l’ensemble, voilà ce que signifie « allumer » une société.
Et c’est si essentiel de nos jours.
Comme me l’a déjà dit un jeune garçon de 11 ans dans une petite ville d’Haïti, l’un des plus grands obstacles auquel l’humanité fait face est l’égocentrisme — cette mentalité étroite du « chacun pour soi et chacun pour son clan » — qui fait que l’indifférence peut se propager.
Il nous sera impossible de créer un monde plus juste et plus humain sans faire échec à l’égocentrisme. Ce n’est qu’en apprenant à travailler ensemble dans un esprit de compassion, d’inclusion et de solidarité que nous y parviendrons.
C’est la raison pour laquelle je suis persuadée de l’importance cruciale que revêt le Forum de jeunes sur les politiques relatives aux arts : Ignite les Amériques.
Ce partenariat sans précédent, voire révolutionnaire, entre l’Organisation des États américains, Patrimoine canadien, Manifesto, Écoles sans frontières, le Remix Project et le secteur artistique des jeunes de toutes les Amériques est porteur d’un mouvement qui pourra non seulement « allumer », mais je dirais même secouer, les Amériques.
Cela signifie donner une voix à celles et ceux qui ont trop longtemps été relégués en marge de la société.
Cela signifie ouvrir les portes de nos institutions publiques et multilatérales.
C’est ainsi que nous aiderons les jeunes artistes à utiliser leur divine étincelle pour le bien collectif.
À la veille du 250e anniversaire de naissance de la démocratie parlementaire au Canada, je tiens à vous dire que le travail que vous accomplissez prouve que les institutions publiques peuvent s’unir aux jeunes de tous les milieux, qu’elles peuvent prêter attention à vos recommandations et qu’elles peuvent aider à jeter des ponts entre les langues, les cultures et les générations.
Il faut que, dans toutes les Amériques, les décideurs soient mis au fait de cette réalité.
Je m’engage, pour ma part, à répandre votre message unique d’espoir, parce que je sais à quel point vous êtes sérieusement engagés dans votre art, sous quelque forme que ce soit, mais que vous avez également fait vôtre la notion élargie du bien collectif.
Bien que le Canada soit une société où la liberté, la diversité et la démocratie sont des réalités, je tiens à souligner que nous avons encore beaucoup à apprendre de celles et de ceux d’entre vous qui viennent d’autres pays des Amériques.
Alors que nous nous préparons à établir un réseau panaméricain d’artistes, puisons notre inspiration dans la détermination, le courage et la fraternité dont nos ancêtres ont fait preuve, pour nous aider à créer une structure qui permettra d’améliorer la vie de tous les citoyens et citoyennes des Amériques et de bâtir un partenariat nord-sud/est-ouest fondé sur le respect, la reconnaissance de l’autre, l’équité, la confiance et la compassion.
Parce que, comme me l’a dit l’an dernier un jeune homme d’une favela à Rio, au Brésil, « Changer le monde, c’est une responsabilité collective. »
Et cela est possible uniquement si nous le faisons tous ensemble.
Nous sommes les Amériques.
