Son Excellence la très honorable Michaëlle Jean - Discours à l’occasion du déjeuner offert par le Président du Sénat

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Paris, le mercredi 7 mai 2008

Parlementaires et amis du Canada, mon mari, Jean-Daniel Lafond, et moi vous remercions de cet accueil si chaleureux.

Monsieur le Président du Sénat, vos paroles me vont droit au cœur, et j’aimerais y répondre en vous exprimant tout le bonheur que nous avons d’être en France, un pays que nous aimons à plus d’un titre.

Nous sommes ici en pays de connaissance.

J’y ai de la famille, également  par alliance, puisque Jean-Daniel est Français d’origine. Nous possédons même, en Poitou-Charentes, une maison où nous venons, depuis des années, refaire le plein d’énergie.

De plus, nous avons ici, en France, une famille élargie. Plus que des amis, vous êtes, ni plus ni moins, des sœurs et des frères de langue et de culture.

Car nous partageons avec vous une histoire.

Une histoire qui remonte notamment aux voyages de Samuel de Champlain en terre d’Amérique.

Une histoire d’endurance, de résistance, pour ne pas dire d’entêtement.

Une histoire que nous célébrons cette année de concert avec vous.

Il y a quatre siècles, la langue et la culture françaises ont plongé leurs racines dans une France que l’on disait nouvelle, dans un monde que l’on disait nouveau. 

Cette langue et cette culture y ont germé. Elles s’y sont épanouies et se sont enrichies d’un apport singulier, particulièrement dans la rencontre avec les peuples amérindiens qui sont nos racines les plus profondes en terre d’Amérique.

Alors, forte de ces rencontres et grâce au métissage, la présence française dans les Amériques est une richesse dont nous pouvons toutes et tous nous enorgueillir, de part et d’autre de l’Atlantique.

Si les liens qui unissent le Canada et la France sont anciens, solides, fraternels, ils ont repris en vitalité cette année sous l’impulsion des fêtes du 400anniversaire de la fondation de la ville de Québec.

Ma présence ici parmi vous et ce voyage qui nous mènera, mon mari, ma fille et moi, de Paris à Bordeaux, en passant par Bény-Reviers et La Rochelle, se veulent un témoignage de l’amitié qui nous lie à vous, Français, par delà le temps, les frontières et le grand océan.

Au cours de ce séjour, nous aurons l’occasion de commémorer avec vous la fin de l’une des pages les plus sombres de notre histoire collective, l’abolition de l’esclavage.

Arrière arrière petite fille d’esclaves, je ne peux demeurer insensible aux séquelles de racisme et d’intolérance qu’ont laissées des décennies de ségrégation et d’esclavage et qui continuent de se manifester dans nos collectivités, tantôt ouvertement, tantôt sournoisement.

Je dois vous avouer que j’ai été profondément touchée par l’œuvre magnifique de Fabrice Hyber, Le Cri, créée en vue de commémorer l’abolition de la traite négrière et de l’esclavage.

Que cette œuvre soit exposée en permanence dans les jardins de l’une des plus grandes institutions démocratiques de la France lui confère, à mon sens, d’autant plus de résonnance. L’anneau ouvert, comme une promesse d’espoir, l’anneau fermé comme un appel à la vigilance, le piètement, à la fois comme une racine et un boulet.

Je vois dans tout ce travail de mémoire la possibilité de poser un regard lucide sur les leçons du passé, mais aussi, et surtout, de miser plus que jamais sur cette force vive que représente notre détermination à vivre ensemble, « debout et libre », comme le disait si bien le regretté Aimé Césaire.

Vivre ensemble, n’est-ce pas le plus grand défi auquel nos sociétés sont confrontées en cette période de mondialisation et d’ouverture sans précédent?

Le temps est venu de repenser le monde en fonction des liens qui nous unissent plutôt que des frontières qui nous séparent.

Et quel meilleur moyen de réaffirmer ces liens et de les célébrer que les arts de la table, des arts que vous, les Français, avez portés à leur apogée?

Comme l’affirmait ce grand épicurien qu’était Brillat Savarin, « le plaisir de la table est de tous les âges, de toutes les conditions, de tous les pays, de tous les jours ».

Que ce déjeuner, donc, soit sous le sceau du plaisir, de la convivialité, de la solidarité, de l’amitié.