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Toronto, le mercredi 27 février 2008
La route aura été longue.
Mais notre victoire sur l’esclavage a fait de la liberté la pierre angulaire de la démocratie moderne.
La liberté d’être soi.
La liberté de voter.
La liberté d’exprimer notre opinion.
La liberté d’être citoyens à part entière.
Or, en cette ère de plaisir instantané, de narcissisme et de clinquant, il est facile d’oublier que les libertés considérées comme un acquis résultent de la lutte qui a mis un terme à l’un des plus grands crimes que l’humanité ait connus, le commerce transatlantique des esclaves.
Pensons‑y.
Il y a moins de 200 ans, les habitants du Haut et du Bas‑Canada pouvaient légalement posséder des esclaves africains et autochtones.
L’esclavage a déjà existé en sol canadien.
Il y a moins de 200 ans, des milliers de femmes et d’hommes, africains et autochtones, ont été victimes d’abus physiques et de torture par leurs propriétaires.
L’esclavage a déjà existé en sol canadien.
Il y a moins de 200 ans, les esclaves devaient risquer leur vie pour avoir ne serait‑ce qu’un aperçu de la liberté que nous tenons maintenant pour acquise.
L’esclavage a déjà existé en sol canadien.
Mais, le 28 août 1833, cette idéologie fondée sur la violence, l’oppression et la déshumanisation a volé en éclats lorsque la loi portant sur l’abolition de l’esclavage dans les colonies britanniques a reçu la sanction royale.
C’est donc un trait de plume royal qui a affranchi les captifs.
Qui les a libérés des fers de la servitude.
Libérés des chaînes de la cupidité et de l’exploitation.
Libérés des privations et des abus.
Libérés, enfin!
Mais ne soyons pas dupes.
Cette liberté, elle a été acquise de haute lutte!
Et cette loi portant sur l’abolition de l’esclavage a été le fruit d’interminables années de combat, qui ont vu des femmes et des hommes, libres ou esclaves, conjuguer leurs efforts et constituer un réseau international d’abolitionnistes.
Ce réseau a été fortement inspiré par mon pays d’origine, Haïti, que les Français de l’époque avaient baptisé Saint-Domingue.
Il y a plus de 200 ans, au cœur de la forêt tropicale, mes ancêtres, des esclaves africains et indigènes en fuite, ont en effet uni leurs forces à leurs semblables de la Jamaïque, de Trinité, de la République dominicaine, de Saint‑Kitts‑et‑Nevis ainsi que des Antilles françaises, semant la révolte générale dans les plantations de canne à sucre.
Munis d’armes les plus rudimentaires, ils ont malgré tout réussi à créer une puissante armée, animée de la volonté inébranlable de mettre un terme à plus de trois siècles d’esclavage. Et ils y sont parvenus.
Ils ont courageusement vaincu les colons européens, et ont institué en 1804 la toute première république noire indépendante au monde.
Et savez-vous quel a été leur premier geste? Ils ont rendu hommage aux premiers habitants de l’île en redonnant au territoire son nom original.
Hispaniola n’existait plus.
Ni Saint-Domingue.
Désormais, c’était Haïti, un mot qui signifie « terre aux nombreuses montagnes » dans la langue des premières nations de cette île, le peuple Arawak, qui a été décimé par la conquête, les maladies et l’esclavage.
Inspirés par le courage et la persévérance des gens d’Haïti, de nombreux autres hommes et femmes des deux côtés de l’Atlantique ont cherché à mettre un terme au commerce transatlantique des esclaves.
Il convient de se rappeler que les abolitionnistes faisaient à cette époque partie d’un mouvement universel qui reliait la partie nord du globe à la partie sud.
D’un mouvement fondé sur les principes révolutionnaires de « liberté, égalité et fraternité », qui s’inscrivaient au cœur même de la lutte pour l’émancipation.
Les ondes de choc de ce mouvement se sont également fait sentir au Canada, qui a été un pionnier à cet égard.
Dans le Bas‑Canada, les législateurs et les citoyens ont réclamé l’abolition de l’esclavage.
Dans le Haut‑Canada, le lieutenant gouverneur John Graves Simcoe a promulgué la loi contre l’esclavage en 1793. Cette loi affranchissait les esclaves âgés de 25 ans et plus, et interdisait la traite des esclaves sur le territoire du Haut‑Canada — une première dans l’Empire britannique.
Cette initiative a mené à la création d’un réseau secret d’abolitionnistes qui a permis à des milliers d’esclaves américains en fuite de trouver refuge au Canada.
Ce réseau, qu’on a appelé le « chemin de fer clandestin », témoigne éloquemment des nobles efforts que d’innombrables hommes et femmes ont déployés pour que tous soient libres.
L’extraordinaire capacité des abolitionnistes noirs, blancs et autochtones à faire front commun s’est avérée essentielle pour déboulonner les idées qui servaient de fondement au commerce transatlantique des esclaves.
Car l’esclavage n’existait pas de lui‑même.
Il reposait sur une sinistre idéologie où la cupidité et la haine rendaient inférieur, coupable de péché quiconque avait la moindre trace de sang africain, et le condamnaient à une vie de servitude, de travaux forcés et d’ostracisme.
Et même aujourd’hui, cette idéologie arrive encore à montrer son ignoble visage et contribue à des situations qui sont tout simplement inacceptables dans notre société.
Je parle ici de discrimination en matière d’emploi.
De discrimination en matière de logement.
De profilage racial.
D’imagerie raciste.
Nous ne pouvons tolérer ces disparités.
Cela dit, nous devrions trouver réconfort dans le fait que la nouvelle génération de Canadiennes et Canadiens rejette avec force le racisme et les autres formes de discrimination.
L’an dernier, j’ai décidé de souligner le 200e anniversaire de la fin du commerce transatlantique des esclaves en organisant un dialogue avec des jeunes à Rideau Hall, ma résidence officielle.
En compagnie de spécialistes reconnus comme Lawrence Hill, Joanne St‑Lewis, Denyse Beaugrand-Champagne et le leader autochtone Roméo Saganash, nous avons eu une discussion dynamique sur la portée qu’a eue l’abolition de l’esclavage et sur l’importance d’éliminer la discrimination raciale.
Issus de tous les milieux, ces étudiantes et étudiants ont exposé leur vision du pays.
Ils ont affirmé qu’il faut redoubler d’effort pour inclure l’histoire des Noirs dans les programmes scolaires partout au pays.
Ils ont demandé à tous les Canadiens de se renseigner sur l’histoire et le legs de l’esclavage dans leur pays.
Et ils se sont engagés à multiplier les efforts pour éliminer le racisme dans leur communauté.
C’est, je crois, de bon augure. Nous ne pouvons prétendre à une société libre et démocratique si nous ne retenons pas les leçons du passé et si nous ne sommes pas résolus à bâtir un avenir meilleur.
Pensons à une femme comme Elise Harding-Davis, que nous honorons aujourd’hui. Elle est la preuve vivante que des obstacles tels la discrimination et l’adversité ne sont là que pour être surmontés.
Elise est issue d’une famille afro-canadienne de combattants pour la liberté, car ses ancêtres ont décidé un jour de fuir l’esclavage.
En devenant conservatrice du North American Black Historical Museum à Amherstburg, elle s’est engagée à continuer sur les traces de ses ancêtres. Elise, vous êtes pour nous tous une source d’inspiration.
Le parcours des Noirs vers leur pleine émancipation a une résonance universelle.
Car il nous enseigne que nous sommes tous les agents de l’histoire.
Que nous avons tous le pouvoir de provoquer des changements.
Et que nous ne devrions jamais laisser quiconque éteindre la flamme qui nous anime.
L’histoire des Noirs revêt une signification universelle, puisqu’elle nous montre que nous sommes toutes et tous des agents de l’histoire.
Que nous avons toutes et tous le pouvoir de changer les choses.
Que nous ne devrions jamais laisser quiconque éteindre notre flamme.
Cette complaisance dans laquelle nous nous installons de plus en plus devrait plutôt nous rappeler à la vigilance.
Pourquoi?
Parce que la bataille n’est pas terminée.
Car en plus du racisme et de la discrimination raciale, l’esclavage, les pratiques apparentées et la traite des humains ont trouvé le moyen de s’immiscer encore dans nos sociétés.
Que ce soit dans la peur qui fige la jeune fille au coin de la rue.
Dans les menaces qui obligent un travailleur domestique à demeurer au service d’employeurs abusifs.
Ou encore dans les conditions douteuses où certains de nos biens sont fabriqués.
Le spectre de la cupidité et de l’exploitation n’est jamais très loin.
Partout dans le monde, des formes contemporaines de l’esclavage et de la traite des humains font des ravages.
Déchirent les familles.
Détruisent des vies, des villages et des communautés.
Et livrent des femmes et des enfants à la merci de prédateurs sans pitié.
Les Canadiens et le reste du monde ne peuvent et ne doivent pas être indifférents à de telles situations.
Car nous avons combattu trop durement pour laisser ainsi s’étioler ce que nous avons acquis de haute lutte.
Une fois encore, le moment est venu pour nous tous de suivre l’étoile du Nord, et de dire non à l’injustice sous toutes ses formes.
Non à l’exclusion.
Non au racisme.
Et oui à la liberté, à l’égalité, à la justice, au vivre ensemble et à la solidarité.
Mes chers amis, nous devons garder la flamme allumée, et pas seulement pendant le Mois de l’histoire des Noirs.
Parce que nous ne sommes pas encore rendus au bout de notre route.
Merci.
