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Toronto, le jeudi 15 novembre 2007
Mon mari Jean-Daniel Lafond et moi tenions à être de la fête pour célébrer quarante ans de vie théâtrale en français à Toronto.
Toronto. La plus grande ville du Canada. Une ville qui contient le monde et qui se situe, de ce fait, au carrefour de toutes les tendances, de toutes les influences.
Au cœur de cette ville aujourd’hui bouillonnante de culture et d’idées, un théâtre. Un théâtre français qui fait salle comble de saison en saison. Un « p’tit bonheur » devenu, quarante ans plus tard, une réussite acclamée de tous.
N’est-ce pas là la manifestation la plus éloquente de votre volonté d’enracinement, voire de votre pérennité?
N’est-ce pas là un témoignage éclatant de votre incroyable vitalité culturelle?
Votre histoire en est une de résistance et, osons-le dire, d’entêtement.
De tout temps, les artistes créent. Envers et contre tous, mus par une nécessité intérieure, une passion à laquelle aucun obstacle ne vient jamais à bout.
Ainsi, que votre milieu soit à majorité anglophone, que les subventions aient été rares, parfois inexistantes, ne vous ont jamais empêchés, en quarante ans, de vivre, de créer, de jouer en français à Toronto.
Dans ce théâtre, vous avez mis de votre de chair, vous avez mis de votre sang. Et vous y avez cru, jusqu’au bout.
Tellement que vous avez réussi à persuader des partenaires des secteurs public et privé de vous faire confiance et de vous appuyer.
Tellement que des auteurs, metteurs en scène, comédiens et gens de théâtre du Québec, du Nouveau-Brunswick et d’ailleurs au Canada ont accepté de prendre part à l’aventure, le temps d’une pièce ou d’une saison.
Tellement que les écoles de la région vous réclament et vous accueillent dans leurs classes.
Tellement que le public en redemande, encore et encore.
Chaque épreuve, chaque succès, a contribué à resserrer les liens qui vous unissent.
Vous êtes des sœurs et des frères de langue et de cœur. Plus qu’un théâtre, plus qu’une troupe, vous formez une famille.
Une famille dont nous avons un peu, Jean-Daniel et moi, l’impression de faire partie ce soir.
Vous le savez : l’année 2008 marquera 400 ans de présence francophone en Amérique.
Une présence vive qui s’incarne en chacune et en chacun de vous, de même qu’en toutes celles et tous ceux qui ont permis d’étendre le rayonnement de la langue et de la culture françaises à l’échelle de ce continent.
Cette appartenance linguistique que nous avons en commun n’est pas et ne saurait être un repli; elle se doit, au contraire, d’être une ouverture. Car la langue est avant tout un espace de rencontre, de solidarité et de célébration.
La langue est une façon unique de comprendre et d’interpréter le monde. En ce sens, la francophonie n’est pas une vue de l’esprit, mais bien une alliance de l’esprit. Et j’ajouterais, une alliance de cœur.
Elle est aussi un appel au dialogue avec celles et ceux qui parlent une autre langue, puisqu’il s’agit alors d’un enrichissement mutuel.
D’ailleurs, vous l’avez compris mieux que quiconque, vous qui attirez de nombreux francophiles, que je tiens à saluer ce soir. Quelle bonne idée que ces surtitres en anglais, qui sont une invitation à la découverte de l’expression culturelle en français.
La survie du français dans ce pays est l’affaire non seulement des francophones, mais de toutes et de tous. C’est une valeur que nous avons en partage, une richesse de notre patrimoine collectif. Il appartient à nous toutes et tous de protéger cette langue et cette culture qui font partie de nous, de notre identité, de nos racines, de notre histoire.
Je crois profondément que les cultures se nourrissent les unes des autres. Je dirais même que les cultures ne s’affirment et n’évoluent qu’en fonction du dynamisme des échanges.
Et s’il est un art qui est et qui sera toujours un lieu d’échange et de partage, c’est bien le théâtre.
Échange entre les praticiens de la scène qui élaborent la représentation; rencontre entre une œuvre et ses interprètes; puis rassemblement des acteurs et des spectateurs qui se retrouvent, le temps d’une pièce, dans une formidable catharsis.
C’est là que réside la magie du théâtre.
En ce sens, le théâtre est l’un des modes d’expression les plus vivants. Et il est d’une actualité et d’une nécessité remarquables. Car le théâtre nous apprend à écouter, à voir autrement, et à réfléchir ensemble.
Malgré les progrès technologiques des dernières décennies, le théâtre constitue encore l’espace de représentation — et j’ajouterais d’exploration — par excellence de la difficulté et du plaisir d’exister, l’un des modes d’expression les plus stimulants et les plus profonds de l’âme humaine.
Ce soir, le théâtre français est à l’honneur et s’affiche dans toutes ses dimensions.
Nous tenions à être là pour le célébrer en votre compagnie. Nous tenions à saluer publiquement ses artistes et ses artisans qui, depuis 40 ans, l’animent de leur passion, de leur génie créateur et de leur point de vue unique sur le monde.
C’est une part importante de l’histoire de notre dramaturgie qui résonne entre ces murs ce soir. Et je dirais du fond du cœur, longue vie, longue vie au théâtre français de Toronto!
