Son Excellence la très honorable Michaëlle Jean - Discours à l’occasion du déjeuner d’État offert par Son Excellence Abdelaziz Bouteflika, Président de la République algérienne démocratique et populaire

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Alger (Algérie), le lundi 20 novembre 2006

Me voici enfin en terre d’Afrique. J’attendais ce moment depuis toujours. Sachez que pour la femme noire que je suis, le continent que j’aborde ici et où je prends la parole pour la première fois est celui des origines.

Mes ancêtres ont été arrachés à leur vie, dépossédés d’eux-mêmes, de leur langue, de leur nom, de leur mémoire, de leur histoire, de leur digne condition de femmes et d’hommes, pour être réduits en esclavage et déportés vers les Amériques. Je suis née en Haïti, là où, au bout de trois siècles de traite infâme, les esclaves ont été les premiers à briser leurs chaînes.

Ce voyage est pour moi chargé de sens et d’émotion. Et je me réjouis que mes premières visites d’État me conduisent vers ce continent auquel je me sens liée par l’histoire, par le cœur, par le sang.

Sachez aussi combien je suis heureuse d’inaugurer ce périple africain en République algérienne démocratique et populaire. Je suis ici pour vous dire, Algériennes et Algériens, l’amitié du peuple canadien.

Les liens qui unissent nos deux pays sont nombreux et particulièrement visibles au Québec où je me suis enracinée au Canada. Et où j’ai eu l’occasion de vous interviewer, Monsieur le Président, alors que j’étais journaliste à la télévision publique.

J’ai gardé un bon souvenir de vos réponses généreuses. Vous m’aviez alors invitée à visiter votre pays.

Me voici donc en Algérie. Dans votre magnifique capitale, Alger la blanche, il y a le bord de mer et la Casbah qu’il me tardait tant de découvrir. Cette lumière foudroyante qui, pour reprendre l’expression de Camus, « demande qu’on fasse acte de lucidité comme on fait acte de foi ».

Auprès des Algéroises et des Algérois, j’ai tout de suite reconnu un peuple riche de sa culture, fier de ses réalisations et résolument attaché au respect des valeurs de tolérance, de paix, de dialogue et de civilisation comme autant de remparts contre la barbarie.

Je sais. Je sais les ravages dont le peuple algérien a dû se relever après la « décennie de sang » et je salue son courage et sa volonté de miser sur les forces de vie.

À ce plan de réconciliation nationale, dont vous êtes l’artisan, Monsieur le Président, vos compatriotes ont répondu massivement pour marquer un pas décisif vers un meilleur avenir et pour que vive l’Algérie.

Le Canada accompagnera le peuple algérien dans l’édification de la paix sociale et des conditions nécessaires à la stabilité, sans lesquelles un pays ne peut atteindre son plein épanouissement dans le concert des nations.

Les cicatrices sont profondes. Des villages, des quartiers, des écoles, des vies sont à reconstruire. Plusieurs grands travaux d’infrastructure sont en cours, auxquels sont associées certaines entreprises canadiennes d’ingénierie.

Qu’il s’agisse de l’établissement de centrales thermiques à cycle combiné, de la mise en place d’un réseau d’adduction d’eau à partir du barrage de Taksebt ou de la maîtrise d’œuvre de la construction de la Grande Mosquée d’Alger, le Canada est fier de participer à la renaissance de l’Algérie.

La coopération entre nos deux pays est plus solide que jamais. L’Algérie est depuis longtemps le premier partenaire commercial du Canada en Afrique et au Moyen-Orient. En 2005, le total des importations et des exportations a atteint 4,4 milliards de dollars.

Mais, au-delà des chiffres, ce qui m’apparaît important, voire fondamental, c’est l’exemple incontournable que représente l’Algérie pour l’ensemble des pays africains qui veulent aussi emprunter la voie de la prospérité et maximiser les possibilités d’investissement et de développement.

L’Algérie est un membre fondateur du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique. Le Canada constate avec bonheur que vous, Monsieur le Président, avez fait de cette initiative une priorité et une composante clé de la diplomatie dans la région et dans le monde entier. C’est un rôle que nous vous encourageons vivement à poursuivre. C’est une responsabilité de toute première importance car l’avenir des peuples de l’Afrique en dépend.

Ces dernières années, plusieurs visites de haut niveau ont eu lieu entre nos deux pays, qui célébraient l’an dernier le quarantième anniversaire de l’établissement de leurs relations diplomatiques. Vous-même, Monsieur le Président, avez effectué une visite d’État au Canada en 2000 et avez accueilli le premier ministre Chrétien en 2002. Vous vous êtes également rencontrés en 2002, à Kananaskis, à l’occasion du Sommet du G8, ainsi qu’aux sommets de la Francophonie de Beyrouth et de Ouagadougou.

Puisqu’il est question de la grande famille qui a la langue française en partage, j’aimerais vous lancer une invitation. Le 3 juillet 2008 marquera le 400e anniversaire de la ville de Québec, berceau de l’Amérique française et joyau du patrimoine mondial selon l’UNESCO. Quelque 50 000 Algériennes et Algériens sont établis au Canada, surtout dans la grande région de Montréal, et seront sûrement de la fête. Nous vous invitons à vous joindre à nous pour souligner cette date décisive de l’histoire du Canada et des Amériques.

Je tiens à rappeler également que l’Algérie a appuyé ces dernières années des initiatives internationales dirigées par le Canada, notamment la signature et la ratification de la Convention d’Ottawa contre les mines antipersonnel, et a même détruit ce qui restait de son stock à l’occasion d’une cérémonie tenue en novembre 2005. Ce geste sans équivoque en faveur de la paix mondiale vous honore.

Le Canada se réjouit aussi du rapprochement entre l’Algérie et l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord dans la lutte contre le terrorisme.

Depuis 2000, le programme de l’Agence canadienne de développement international en Algérie s’est intensifié. Trois axes d’intervention sont ciblés : la formation professionnelle, les initiatives locales et la société civile. Car, pour le Canada, l’essor économique est indissociable de la promotion des droits et des libertés de la personne.

Ainsi, plus de 180 activités appuyées par l’Agence canadienne de développement international et réparties sur près de 80 p. 100 du territoire soutiennent les efforts quotidiens et constructifs de femmes et d’hommes, de communautés et d’associations.

Permettez-moi ici de rendre hommage aux femmes algériennes. L’an dernier, au Salon du livre de Montréal, Yasmina Khadra, un auteur de chez vous qui était l’invité d’honneur du Salon, confiait à mes compatriotes que la femme algérienne avait été « plus courageuse que l’Occident lui-même en tenant tête à l’intégrisme ».

La journaliste que j’ai été a suivi avec admiration la résistance des femmes de votre pays. Le combat qu’elles ont mené, souvent au péril de leur vie, au nom de la justice et de la liberté, dépasse largement vos frontières et rejoint  l’humanité entière.

Je suis émue de saluer aujourd’hui devant vous l’infinie générosité et l’immense courage de mes sœurs algériennes. Car ces femmes nous ont appris que l’obscurantisme ne saurait l’emporter. L’« étincelle de réflexion » qu’elles ont fait jaillir dans nos cœurs, pour reprendre la belle expression de Senghor, court désormais comme un feu d’espoir dans le monde.

Il me tarde, Monsieur le Président, d’aller à la rencontre de vos concitoyennes et concitoyens. Au cours des prochains jours, j’aurai le privilège de rencontrer des parlementaires, des leaders, des artistes, des femmes, des jeunes, des entrepreneurs, qui incarnent toutes et tous les forces vives de l’Algérie moderne. Sachez que chaque main tendue, chaque regard, chaque parole s’inscriront en moi pour que je les répercute auprès des Canadiennes et des Canadiens.

Je suis chez vous aux portes de l’Afrique, dont j’ai tant rêvé, et ce voyage que j’entame avec vous est celui de la fraternité humaine. N’oublions jamais, comme le disait si justement Frantz Fanon, mon frère antillais, que nous avons « un seul devoir, celui de ne pas renier (notre) liberté au travers de (nos) choix ».

Que mes vœux de bonheur vous accompagnent. Veuillez également recevoir, Monsieur le Président, l’expression de l’amitié des Canadiennes et des Canadiens.