Son Excellence la très honorable Michaëlle Jean - Discours à l’occasion de la cérémonie d’accueil à l’Assemblée législative

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Victoria, le mardi 7 mars 2006

Merci, Monsieur le Président.

Je suis ravie d’entamer ici, à Victoria, ma première visite officielle en Colombie-Britannique. Soyez assurés que j’apprécie la chaleur — dans tous les sens du terme! — de votre accueil.

On comprend facilement pourquoi, malgré son éloignement de ce qui est considéré comme le centre des affaires, des finances et de la politique du pays, la Colombie-Britannique demeure la destination de choix de tant de Canadiennes et de Canadiens — particulièrement pour celles et ceux qui recherchent un meilleur équilibre dans leur vie et un contact plus étroit avec la nature.

Victoria et ses magnifiques jardins, où tous nos sens sont conviés, rappellent au reste du Canada l’importance de s’arrêter et de profiter de la vie dans toute sa richesse, sa beauté et sa diversité. Je  dois d’ailleurs vous faire un aveu : après être venue pour la première fois à Vancouver, j’ai songé que, si jamais je décidais de vivre ailleurs que dans ma province, le Québec, j’opterais pour la Colombie-Britannique.

Et ce n’est pas seulement son environnement naturel à couper le souffle qui pèse lourd dans la balance,  mais la vitalité et l’énergie de votre province et de sa population. Au cours de ce voyage, mes visites se limitent à vos deux métropoles les plus au sud. Mais je sais que Vancouver et Victoria ne sont pas le reflet de la province tout entière, ce que plusieurs d’entre vous ici présents n’hésiteraient pas à corroborer!

Sachez bien qu’il me tarde de visiter les autres régions de votre merveilleuse province. J’ai hâte de pouvoir admirer la tranquille et majestueuse beauté de Haida Gwaii et de découvrir les traditions immémoriales de sa population. Je suis impatiente de profiter du soleil étincelant de l’Okanagan et de goûter aux produits et aux vins qui ont rendu cette vallée célèbre dans le monde entier. J’aimerais avoir  la chance d’explorer le nord, le littoral et l’intérieur de la Colombie-Britannique.

Celles et ceux qui connaissent bien leur histoire savent que le Canada ne serait pas ce qu’il est sans la Colombie-Britannique. En devenant la sixième province à se joindre à la confédération en 1871, elle a permis de transformer le pays en apportant un complément à notre patrimoine atlantique, c’est‑à‑dire une porte sur le Pacifique. Depuis ce temps, le Canada s’est redéfini à plusieurs égards.

Et que dire de la façon de négocier votre entrée dans la confédération, représentative de l’audace et de l’esprit d’innovation qui vous caractérise encore aujourd’hui.

Si vous trouvez qu’il est difficile de nos jours de représenter, à Ottawa ou même à Victoria, un comté du Nord de la Colombie-Britannique, imaginez-vous ce que cela pouvait être, il y a plus d’un siècle. En effet, pour se rendre d’ici jusqu’à notre capitale nationale en 1871, la délégation de la Colombie-Britannique devait voyager par bateau à vapeur jusqu’à San Francisco et, de là, prendre le train jusqu’à Chicago, puis la voiture à cheval jusqu’à Ottawa. Un périple qui durait deux semaines.

Une fois arrivée à Ottawa, la délégation de représentants de la Colombie-Britannique avait prévu demander à sir John A. McDonald de faire construire une route pour les voitures à cheval reliant leur province au reste du pays. C’est alors que George Étienne Cartier, le lieutenant québécois du premier ministre du Canada, les prenant à part, leur a dit, avec la ruse qu’on lui connaissait : « Non, non! Soyez plus ambitieux, demandez un chemin de fer! »

Cartier ne se rendait pas compte que, en leur faisant cette recommandation, il nouait entre les politiciens de la Colombie-Britannique et du Québec un lien qui a perduré de manière assez étonnante.

Évidemment, la délégation l’a pris au mot, et le reste de cette petite histoire s’est inscrite dans notre histoire collective : cette promesse très coûteuse que la Colombie-Britannique a soutirée de sir John A. MacDonald est devenue un élément essentiel de notre rêve national.

D’une génération à l’autre, les habitants de la Colombie-Britannique n’ont cessé de repousser les frontières de ce rêve. C’est ainsi que, 135 ans plus tard, les Canadiennes et les Canadiens de toutes les régions du pays continuent de bénéficier de votre présence dans la confédération.

La nature grandiose de votre province attire les artistes depuis des siècles, et de nos jours, les touristes du monde entier. L’accent que vous avez mis sur l’exploitation de vos ressources naturelles abondantes permettra aux générations à venir de profiter d’une prospérité que beaucoup vous envient. Aujourd’hui, vous cherchez des façons de concilier nature et prospérité d’une manière saine et éclairée. Cette quête d’équilibre vient nous rappeler que cette petite planète que nous partageons est bien fragile et que nous lui devons respect, autant qu’à nous-mêmes.

Le respect se manifeste de diverses manières. Permettez-moi de vous en donner un exemple.

Moi qui suis une immigrante au Canada et à qui a été conféré l’honneur de servir les citoyennes et les citoyens de ce grand pays, je suis particulièrement émue d’être ici, dans votre parlement.

En Colombie-Britannique, l’élection de députés qui sont des immigrants ou qui appartiennent à des minorités visibles est une tradition qui existe depuis longtemps. Grâce à eux, cette assemblée législative a été un modèle, où se reflète la riche diversité de la population de votre province et de celle du Canada.

C’est dans cette chambre que Frank Calder a donné voix et dignité aux préoccupations des Autochtones de la Colombie-Britannique. Quant à l’ancien président de l’Assemblée, Emery Barnes, il a servi non seulement sa communauté, mais la province tout entière. Depuis, les députés d’ascendance chinoise et sud-est asiatique maintiennent la visibilité du patrimoine aux multiples facettes de vos citoyennes et citoyens. La Colombie-Britannique est la première province à avoir élu un premier ministre qui n'était pas de race blanche, un Indo-Canadien en fait. Il s'agit de l'élection d’Ujjal Dosanjh, en 2000.

Du même coup, votre assemblée a démontré d’une manière tangible et avec éclat l’accueil chaleureux que la Colombie‑Britannique réserve à toutes et à tous, un accueil qui est un symbole d’espoir et d’avenir non seulement pour le Canada, mais pour le monde entier.

Vos villes multiculturelles, où les élèves qui apprennent l’anglais, langue seconde, sont souvent plus nombreux que ceux qui sont nés au Canada, sont des exemples de ce qu’il est possible d’accomplir… des modèles de collectivités diversifiées où l’on peut vivre et prospérer ensemble.

Cette qualité remarquable n’a pas prix et ne peut être « commercialiser », mais elle n’en demeure pas moins l’un de vos principaux attraits et avantages. N’est-il pas de notre responsabilité, en tant que citoyennes et citoyens, que de créer des collectivités où règnent la confiance et le consensus, surtout dans l’environnement mondial actuel, encore affligé par l’incompréhension et la violence?

Je me suis engagée à me servir de la fonction que j’ai le privilège d’occuper pour briser les solitudes. Par solitudes, j’entends les différences qui nous séparent; celles qu’imposent la géographie et l’âge, le sexe et l’origine ethnique, la langue et la religion, la pauvreté et l’ignorance.

Or, ce n’est qu’en mettant ensemble la main à la pâte que nous pourrons faire tomber les barrières qui empêchent des immigrants qualifiés de contribuer à l’évolution de leur pays d’adoption. C’est grâce à la collaboration de toutes et de tous que nous trouverons des solutions concrètes à l’aliénation sociale qui accule certains jeunes à l’isolement et au désespoir.

J’estime que la marginalisation d’un être humain, quel qu’il soit, est une perte pour nous tous. Car il n’y a rien de plus indigne, dans une société aussi fortunée que la nôtre, que de laisser pour compte ou de ne pas soutenir les plus vulnérables d’entre nous — les enfants et les jeunes. N’oublions pas qu’ils représentent non seulement notre avenir, mais notre présent. Nous avons  envers eux un devoir sacré; celui de leur laisser en héritage un monde meilleur. Il nous incombe aussi de veiller à ce qu’ils puissent l’apprécier et s’apprécier les uns les autres, dans le respect et en se montrant justes et responsables.

Ce devoir  fait aussi partie de notre rêve collectif. C’est un exploit dont peu de sociétés peuvent se vanter. Alors nous, qui sommes sur le point de le réaliser à plus d’un titre, nous ne pouvons nous permettre de prendre cette tâche à la légère ou prétendre qu’elle ne relève pas de nous.

Chacune et chacun d’entre nous, par nos gestes et notre attitude, avons la possibilité de favoriser le respect, d’encourager le dialogue et de promouvoir la coopération.

Au cours de cette première visite officielle en Colombie-Britannique, j’aurai l’immense plaisir de m’entretenir avec vous et avec vos concitoyennes et concitoyens sur cette question et sur bien d’autres.

La conversation ouverte que nous entamons cette semaine ne sera que le premier chapitre d’un dialogue continu. Je sais que vous-mêmes et les gens que vous représentez ont des sujets importants à discuter, des histoires touchantes et fascinantes à partager et des leçons importantes à m’apprendre.

Je suis ici pour vous écouter.Merci.