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8 décembre 2006
par Son Excellence Michaëlle Jean
Il y a à peine 12 ans, il m’eut été impossible, même à titre de gouverneure générale du Canada, de circuler librement, de m’asseoir sur un banc public, de franchir le seuil de certains édifices en Afrique du sud. Être de race noire, « de couleur » ou d’origine indienne vous y exposait à des humiliations quotidiennes voire à la négation totale de votre humanité. Il y a à peine 12 ans prévalait encore en Afrique du sud un régime entièrement construit sur l’idéologie de la suprématie de la race blanche. Il faut parcourir le saisissant musée de l’apartheid ainsi que les lieux de détention, de torture, d’avilissement, revoir les archives, écouter les témoignages des femmes et des hommes qui l’ont vécu dans leur chair, qui l’ont combattu ou qui en sont issus, pour réaliser la cruauté, l’horreur, les ignominies, les injustices d’un système implacablement raciste dans tous ses fondements, toutes ses lois, toute son administration, toute son ossature sociale, économique et politique. Juste avant d’arriver en Afrique su sud, j’avais visité au Ghana l’un de ces châteaux de la côte ouest qui pendant plus de trois siècles ont servi de lieux de détention de millions d’hommes, de femmes et d’enfants déportés sur des navires négriers vers les Amériques pour y être réduits à l’esclavage.
Le régime de l’apartheid a été érigé sur cette même idéologie de déshumanisation. Au bout de décennies de résistance et de combat, le régime a dû céder le pas à la démocratie, les opprimés d’hier ont triomphé, ils s’appliquent aujourd’hui, avec énormément de courage, de sagesse et de détermination, à panser les blessures, combler les fossés, reconstruire des vies, échafauder dialogue et réconciliation, désamorcer les rancœurs autour d’un pacte citoyen d’émancipation. La volonté de vivre ensemble, pleinement égaux en droits et en dignité, dans une Afrique du sud multiraciale, multiculturelle avec 11 langues officielles est remarquablement enchâssée dans une constitution qui rassemble le nouveau projet social et de citoyenneté d’un pays qui veut de toutes ses forces se remettre du pire. Le rêve est grand, le défi est de taille car les cicatrices, les lignes de démarcation sont encore là, bien visibles. Entre les beaux quartiers à l’ombre de magnifiques jardins et les colonies de bidonvilles sans arbres, brulées par le soleil. D’un côté les infrastructures gigantesques, rutilantes et l’opulence à l’occidentale, de l’autre l’extrême misère et la paupérisation. De l’apartheid brutal il reste aussi un seuil très élevé de tolérance à la violence, beaucoup de frustrations et de méfiance face aux forces de police notamment. Le taux de chômage est des plus élevés dans la population noire dont l’accès à l’éducation a été brimé par le système précédent. Il y a la pandémie du VIH-sida qui touche plus de 5 millions de personnes et qui a laissé plus de 2 millions d’enfants orphelins. Il y a tous ces espoirs d’une vie meilleure auxquels il faut répondre sans trop tarder, surtout ceux de toute une jeunesse qui n’a pas connu la morsure des gestes indignes, ni les sacrifices et les combats qu’il a fallu mener pour s’en libérer.
Les efforts sont nombreux et concluants, tant du côté de celles et ceux qui gouvernent aujourd’hui le pays que de la société civile. Quant à nous, le Canada a soutenu le mouvement anti-apartheid et nous sommes aujourd’hui encore très présents aux côtés de l’Afrique du sud avec un partenariat solide dans de nombreux secteurs, des actions de coopération qui changent et qui sauvent des vies. J’ai été témoin de projets extrêmement émouvants sur le terrain, notamment celui appuyé par le Cirque du Soleil, Zip Zap Circus, cette école du cirque qui amène des jeunes toutes races confondues, des jeunes séropositifs, des jeunes de la rue à être et à travailler ensemble. Ce magnifique réseau d’entraide que nous appuyons et qui permet à de jeunes mères séropositives d’agir, d’avoir accès aux médicaments, de s’épauler et de mener des campagnes de sensibilisation. Quantité d’autres initiatives, qui témoignent de la fierté indémontable du peuples sud africain et d’un grand esprit de solidarité encore vivant.
