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Cérémonie d'ouverture du Forum national
pour le Point des arts
Banff, le jeudi 24 avril 2008
Bonsoir,
Depuis un peu plus d’un an, la gouverneure générale et moi avons tenu plus de 20 forums du Point des arts à Rideau Hall à l’occasion de la remise de prix qui célèbrent le talent de nos artistes, mais aussi lors de nos visites au Canada et à l’étranger. À chaque fois, le désir est le même : offrir un espace de discussion et de réflexion sur la culture canadienne. Des centaines d’artistes, de gestionnaires, de chercheurs, de mécènes, ont répondu présent et ont participé à ces débats sur une culture en mouvement, sur des formes de diffusion nouvelles et sur des rapports au public sans cesse repensés.
Les artistes ont parlé de leur création, de leur rapport avec la société, de leur engagement, de leurs aspirations. Nous avons discuté des défis des nouvelles technologies et des nouveaux supports de diffusion, des liens que l’artiste entretient avec les citoyens, du besoin d’espaces pour créer et du besoin de reconnaissance. Nous avons écouté les artistes parler de leurs expériences dans leurs différentes communautés et de leurs réalisations, parfois à l’étranger. Une fois évoqué le parcours et les défis personnels, lors de chaque discussion, la question identitaire est revenue : « qu’est-ce qu’un artiste canadien? Qu’est-ce que l’art canadien? Qu’est-ce que la culture canadienne? ».
La singularité de l’artiste canadien et de sa création est souvent apparue en termes de comparaison ou d’opposition. L’artiste canadien n’est pas un artiste « étatsunien », ni britannique, ni français… On sait ce qu’il n’est pas. Reste à savoir ce qu’il est et ce qui fait le caractère unique de sa création. Impossible en tout cas de donner une définition figée ni de la culture, ni de l’identité canadienne car les deux sont à la fois en mouvement, changeantes et composées comme une mosaïque aux facettes multiples.
Voilà un premier élément de réponse, un premier signe distinctif : ce qui caractérise notre identité et notre culture c’est leur diversité. Dans son ouvrage, On being Canadian, le gouverneur général Vincent Massey vantait en 1948 les mérites de la diversité : « Nous sommes un ensemble de couleurs, de lumières et de teintes. Le Canada n’est pas un pays d’uniformité monochrome. »
Comme ce grand défenseur des arts et des lettres, je partage intimement la conviction que la lutte pour l’identité de notre pays est aussi un combat pour assurer la survie de la culture canadienne.
Il apparaît évident que l’art et l’identité sont intimement liés; on ne peut prétendre défendre l’identité canadienne si on ne se bat pas chaque jour, sans relâche, pour le dynamisme de notre culture.
Voilà comment « Fait au Canada – l’art comme une ressource essentielle » s’est imposé comme sujet de réflexion pour ce Point des arts en collaboration avec le Banff Centre. Un Point des arts pancanadien, interdisciplinaire, dont le but est de faire le bilan de nos discussions passées et, surtout, de tracer des pistes pour les forums à venir.
FAIT AU CANADA : Comme ces étiquettes au dos de nos vêtements. Mais nous nous sommes assez battus pour la Convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, entrée en vigueur l’an passé, pour ne pas comparer la culture à un produit comme les autres. Vous qui, chaque jour, combattez dans vos communautés pour défendre la culture dans ce qu’elle a d’unique et de plus varié, êtes déjà convaincus que l’art n’est pas un produit comme les autres. Nommer cette rencontre, « Fait au Canada », c’est aussi une provocation, un pied de nez à ceux qui veulent broyer la culture et la noyer dans le magma d’un commerce sans âme. Intituler ces rencontres sur l’art « Fait au Canada », c’est d’abord dire notre fierté.
Oui, nous avons toutes les raisons d’être fiers du dynamisme de nos artistes et des institutions culturelles de ce pays ; fiers de savoir que le Canada compte plus de 130 000 artistes ; fiers de savoir que le nombre d’artistes a plus que triplé entre les années 1970 et les années 2000 ; fiers de voir nos artistes voyager partout au pays et à l’étranger. Il faut saluer le dynamisme et l’entêtement de cette communauté artistique qui fait tellement malgré des moyens souvent minimes,. Soulignons aussi le travail des institutions fédérales, provinciales, municipales et le secteur privé qui, ensemble, soutiennent les créateurs et leurs créations.
À l’heure de l’Internet, des transports plus faciles et rapides, les lois protectionnistes, les quotas pour garantir la présence d’œuvres canadiennes dans les médias, la diffusion de films canadiens sont d’une nécessité extrême, mais tout cela ne suffit plus. Qu’est-ce qui donnera envie d’aller au musée plutôt que de regarder des reproductions sur Internet ? Qu’est-ce qui donnera envie d’aller à un concert plutôt que d’en regarder la retransmission à la télévision? Qu’est ce qui donnera envie de lire un auteur canadien plutôt que de se précipiter sur le même livre publié partout sur la planète ?
Ce qui nous motive, parfois sans le savoir, c’est la dialectique qui naît de la rencontre entre la création et le citoyen. Être séduit et avoir envie d’entamer le dialogue. Séduit par une œuvre, ce citoyen-spectateur entre dans l’univers de l’émotion, de la réflexion, et de l’imagination. La rencontre, c’est aussi le miroir qui projette l’inévitable « Qui suis-je? Qui sommes-nous? » Devant cette éternelle interrogation, la création nous guide sur le chemin des réponses.
L’œuvre de l'artiste Ron Noganosh, d'origine ojibwa, né dans la baie Géorgienne et qui a grandi sur la réserve Shawanaga, en Ontario, parle de nous. Le bouclier, cet objet autochtone archétypal, est au cœur de son travail. Des plumes, des perles, la pure tradition qui dit l’histoire. Mais quand on y regarde de plus près et qu’on s’approche un peu, surprise, des canettes de bières, des vestiges du présent, qui racontent aussi les conditions de vie actuelles. Voilà une œuvre qui dit qui nous sommes, notre passé et notre présent.
Mélange de la grande histoire ancestrale et du quotidien, métissage de la tradition et de l’objet contemporain commercial, voilà de quoi est aussi fait notre culture. L’historienne de l’art, Jocelyne Lupien, résume en ces termes : « l'identité culturelle des individus en Amérique du Nord résulte d'une fusion entre l'ici et l'ailleurs, entre nous et l'autre, voire les autres, entre les mythologies sacrées et les croyances populaires »
Une culture forte, c’est une culture qui accueille les influences riches et variées qui font le Canada d’aujourd’hui, à la fois le passé de ce pays et le passé de ceux qui viennent peupler cette terre d’immigration. Une culture forte, c’est une culture qui a envie de construire à la fois sur son passé et sa diversité, et sur son présent et son avenir.
Pour cela, il faut faire de l’art l’épicentre d’une pensée politique en action. Comme le disait un jour André Malraux, l’écrivain et ministre de la culture durant le mandat du général de Gaulle, :
« La vraie culture commence lorsque les œuvres ne sont plus des documents : lorsque Shakespeare est présent (…). La vraie culture, c’est la mystérieuse présence, dans sa vie, de ce qui devrait appartenir à la mort. »
