Visite régionale au Manitoba – Cérémonie de remise des diplômes à l’Université du Manitoba

Le 8 juin 2023

Sous réserve de modifications

Bonjour,

Merci, Dre Cook, pour cette très aimable présentation, et merci, Président et Chancelier de l’Université du Manitoba, de me décerner un doctorat honorifique en droit. Distingués membres du corps professoral, diplômés, amis et membres de la famille : merci. Je suis honorée de recevoir cette reconnaissance, qui revêt une grande importance pour moi.

Avant de commencer, je tiens à reconnaître que nous sommes réunis sur les terres traditionnelles des Anishinaabeg, des Cris, des Oji-Cris, des Dakota et des Dénés, ainsi que sur la terre natale de la Nation métisse, des peuples qui, depuis des millénaires, soignent et protègent les terres et les eaux de ces lieux. Il est de notre responsabilité collective de progresser en harmonie avec les communautés autochtones, dans un esprit de réconciliation et de collaboration.

Félicitations aux étudiants et étudiantes qui reçoivent leur diplôme aujourd’hui! C’est pour moi un privilège de vivre ce moment avec vous.

Par où commencer ?

De nombreux moments de ma vie m’ont marquée en tant que personne, en tant que professionnelle et en tant que dirigeante. Je souhaite vous parler de certains de ces moments, car, si vous pensiez être les seuls à vous interroger sur le cours de la vie, détrompez-vous. Les moments se succèdent. Ces moments forment la trame de notre vie. Ces moments nous permettent de provoquer des changements.

Vous devez chercher à donner un sens à ces moments.

J’ai grandi au Nunavik, dans le Nord-du-Québec, en contact étroit avec la terre et avec la culture inuite. Ma mère était une Inuite unilingue – comme ma grand-mère, elle était issue du monde traditionnel inuit de l’Arctique. Mon père est né au Manitoba, à Sandy Lake, et a grandi dans le parc national du Mont-Riding.

Bien que mon éducation puisse être décrite comme mixte ou variée, j’ai appris de ces trois personnes les valeurs que sont le travail acharné, la détermination, la rigueur et l’attachement à ses principes et à ses convictions.

Vous vous demanderez peut-être pourquoi mon éducation a été mixte. C’est parce que j’étais la fille d’un homme blanc et que, de ce fait, l’on ne pouvait m’envoyer dans un pensionnat. Si cette mesure d’exclusion m’a protégée des horreurs des pensionnats, elle a par ailleurs fait naître en moi une volonté farouche de préserver et défendre les droits, les traditions et les identités des Autochtones.

Même si je n’ai pas reçu l’éducation que je voulais ou que je méritais, je suis là pour vous dire que votre avenir dépend de vous. Certains des défis que vous devrez relever seront peut-être à l’origine des plus grandes réussites de votre vie. Je sais d’expérience que les défis peuvent nous façonner d’une manière que nous ne pouvons imaginer.

En effet, qui aurait pu imaginer qu’un jour je discuterais de ces mêmes questions – droits, traditions et identité autochtones – avec le premier ministre de l’époque, Pierre Elliott Trudeau ?

J’avais 37 ans. J’étais une femme exerçant des fonctions de direction à une époque où cela était inattendu. Et j’étais une dirigeante autochtone à une époque où cela n’était pas souhaité. Ces deux identités sont entrées en collision lors d’un débat avec le premier ministre sur les droits des Autochtones.

Le travail n’a pas été facile, mais il a permis d’inscrire ces droits à l’article 35 de la Loi constitutionnelle, qui se lit comme suit : « Les droits existants – ancestraux ou issus de traités – des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés. »

En 2019, je dirais que l’on a bouclé la boucle de ce débat avec le premier ministre lorsque les droits des Autochtones ont enfin été reconnus de manière égale dans la législation, grâce à la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Le changement ne s’opère pas du jour au lendemain, et le processus peut être difficile et frustrant, mais il est toujours réalisable.

Ce qui m’amène au jour où, il y a presque deux ans, à l’issue d’un processus de sélection rigoureux, le premier ministre Justin Trudeau m’a demandé si j’acceptais d’être la première gouverneure générale autochtone du Canada. Cette demande était complètement inattendue. J’étais à la retraite. Mon mari Whit et moi avons un chalet en Nouvelle-Écosse et, comme tous les Canadiens, nous nous adaptions aux réalités imposées par la pandémie.

Cet entretien avec le premier ministre est intervenu à un moment où les peuples autochtones et la population canadienne étaient confrontés à la découverte de tombes anonymes sur les sites d’anciens pensionnats.

Je n’ai pu m’empêcher de me souvenir du 11 juin 2008, lorsque je me trouvais à la Chambre des communes en tant que représentante des Inuits pour entendre les excuses du Canada à propos des actes commis dans ces établissements. Pour reprendre les mots du premier ministre Harper, « des actes qui n’ont pas leur place au Canada ».

Accepter l’honneur de devenir gouverneure générale revenait donc à assumer l’immense responsabilité d’aider notre pays à s’engager dans la voie de la réconciliation. Cela représente pour moi l’aboutissement du travail de toute une vie. Et quel parcours cela a été. Un parcours empreint à la fois de moments douloureux et de moments d’espoir.

D’un côté, j’ai éprouvé de la douleur en arpentant les lieux des tombes anonymes de Kamloops. D’un autre côté, j’ai eu le bonheur de me retrouver avec 14 000 étudiants dans un stade de football de la Saskatchewan pour discuter de ce qu’ils pouvaient faire pour promouvoir la réconciliation au Canada. Chaque personne peut faire énormément de choses. Je dis souvent que la réconciliation est un chemin que nous parcourons ensemble. La réconciliation renvoie à la manière dont nous agissons les uns avec les autres, Autochtones ou non-Autochtones.

Le chemin sera long et éprouvant, et il nous obligera à affronter ensemble de lourdes vérités. Pourtant, j’ai découvert un nouvel espoir lorsque, l’été dernier, au cours de son pèlerinage de pénitence, le pape François a reconnu le rôle de l’Église catholique dans le régime des pensionnats et a présenté des excuses à ce sujet.

Cet espoir a été suivi de gestes concrets lorsque, le mois dernier, à la veille du couronnement, des leaders autochtones du Canada et Sa Majesté le Roi se sont rencontrés en privé pour la première fois et se sont engagés à bâtir une relation renouvelée, fondée sur la confiance et le respect.

Le roi, le pape, des excuses à la Chambre des communes et des débats constitutionnels : chaque moment en appelle un autre. Voilà ce qui permet de faire évoluer les choses. Mais la réussite ne se limite pas à remporter des victoires. La réussite réside dans le processus, dans le fait de demeurer attaché à une cause, de rester fidèle à soi-même.

Ce qui m’amène à quelques réflexions finales.

Premièrement, trouvez votre passion, cette chose qui vous fait vibrer, qui vous anime au plus profond de vous-même.

Aujourd’hui, comme au fil des différents moments de ma vie, je continue de m’appuyer sur mon travail, mon expérience et mes passions. J’ai toujours eu des valeurs et des convictions fortes sur les questions d’égalité et de justice, et j’ai saisi toutes les occasions de faire avancer les questions qui me passionnent.

Deuxièmement, préparez-vous à vous investir respectueusement dans la défense de vos valeurs et de vos convictions.

Je suis inspirée par la prochaine génération qui prendra le flambeau du changement et fera avancer les choses. Votre souci et votre respect de la réconciliation et de la diversité dépassent ceux de toutes les générations qui vous ont précédés. Chaque jour, je vois de jeunes leaders donner un nouveau souffle et de nouvelles perspectives à d’anciens débats.

Troisièmement, n’oubliez pas qui vous êtes.

Le « monde réel » peut être compétitif et implacable, à un point tel qu’il peut être difficile de ne pas se décourager, de ne pas succomber à la pression ou se laisser influencer par le jugement des autres. Le fait de rester fidèles à vos valeurs vous aidera toujours à évoluer dans ce monde complexe, comme si vous aviez une boussole vous indiquant la voie à suivre. Pour moi, cette boussole était, et est toujours, l’égalité et la conviction profonde que j’ai autant de valeur que n’importe quelle autre personne. Tout comme vous.

Au début de mon allocution, je vous ai dit que vous devriez chercher à donner un sens aux moments de la vie. Aujourd’hui représente l’un de ces moments, aussi bien pour vous que pour moi. Quel sens donnerez-vous à ce moment ?

En gardant cela à l’esprit, permettez-moi de vous laisser avec un mot – un mot en inuktitut qui a un grand sens dans ma vie : ajuinnata. Prononcez-le avec moi : ajuinnata.

Il signifie ne jamais abandonner, persévérer face à l’adversité.

Que l’esprit d’ajuinnata soit présent dans votre vie et que les moments que vous vivrez soient pleins de sens.

Encore une fois, félicitations à vous, à vos parents, à vos proches et à vos amis qui vous ont soutenus dans votre réussite et qui étaient à vos côtés lorsque vous en aviez le plus besoin. Je vous remercie encore de m’avoir accordé cet honneur aujourd’hui. C’est un moment rempli de sens pour moi.

Merci.