Colloque du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada

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Ottawa, le lundi 3 novembre 2014

 

Je vous remercie de cette invitation. Je suis très heureux d’avoir l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.

J’aimerais commencer en parlant de l’objectif important de cette rencontre : imaginer l’avenir du Canada.

Un objectif ambitieux!

Un objectif louable et tout à fait à propos, car le Canada a toujours été d’abord et avant tout un produit de l’imagination.

Comme vous le savez, 2014 est l’année du 150e anniversaire des conférences de Charlottetown et de Québec, lesquelles ont jeté les bases de la Confédération qui allait voir le jour trois ans plus tard. Et j’affirme que les représentants élus que nous appelons les Pères de la Confédération ont participé avant tout à un acte collectif d’imagination.

Quelle était l’idée audacieuse qu’ils avaient en commun? C’était celle du Canada, d’un pays où des peuples divers vivent et travaillent ensemble dans un esprit de respect mutuel, de tolérance et de collaboration.

Le grand Northrop Frye, dont bon nombre d’entre vous connaissent sans doute les écrits et les idées, a déjà fait remarquer que chacun d’entre nous participe à la société principalement par son imagination.

Ceci est particulièrement vrai dans un pays aussi vaste et aussi diversifié que le nôtre.

Alors je profite de l’occasion pour vous remercier de poursuivre ensemble l’édification de notre merveilleux pays.

J’aimerais accomplir trois choses en ce qui concerne mes observations aujourd’hui.

Premièrement, je veux parler des deux défis de demain qui ont été choisis comme thèmes prioritaires de cette rencontre : les nouvelles technologies numériques et la recherche sur les Autochtones.

Deuxièmement, j’aimerais parler de l’importance de créer des liens entre les établissements universitaires et les collectivités où ils exercent leurs activités.

Troisièmement, je tâcherai d’être bref afin que vous puissiez poursuivre votre importante réflexion. Comme ma grand-mère avait l’habitude de le dire : « Lève-toi pour qu’on te voie, parle assez fort pour qu’on t’entende et assieds-toi pour qu’on t’apprécie! »

D’abord, il ne fait aucun doute que nous vivons une période d’innovation technologique qui apporte de grands bouleversements. Autrement dit, les communications numériques et Internet transforment notre monde.

Il nous est parfois difficile de saisir pleinement les conséquences de la révolution que nous sommes en train de vivre.

C’est ce que je vais essayer d’illustrer en recourant au meilleur moyen que je connaisse : en racontant une histoire.

Vous savez tous qui était Henry Ford.

Quand M. Ford a lancé le Modèle T, il y a un siècle, il a vendu moins de mille automobiles par année. À l’époque, les gens disaient souvent de la nouvelle invention qu’était l’automobile que c’était une « voiture sans chevaux ». Les gens la décrivaient donc en fonction de ce qu’elle n’était pas, plutôt que de ce qu’elle était.

Au début du 20e siècle, les gens s’exprimaient ainsi parce qu’ils n’avaient jamais vu d’automobile auparavant, mais ils connaissaient bien les chevaux et les voitures qu’ils tiraient. Par conséquent, le concept de « voiture sans chevaux » était plus facile à comprendre que la nouvelle réalité technologique qu’était l’automobile, une voiture qui se meut elle-même, sans parler des changements qu’elle apporterait à nos vies et à notre monde.

Une décennie plus tard, M. Ford vendait un million de voitures par année. Évidemment, tout le monde savait alors ce qu’était une automobile.

Dans un article écrit pour la Brookings Institution, Peter Singer fait un parallèle entre l’histoire de la « voiture sans chevaux » et la « révolution de la robotique » qui s’opère actuellement. La robotique, dit-il, est une de ces rares technologies qui changent les règles du jeu, comme le feu, la presse à imprimer, la poudre à feu, la machine à vapeur, l’ordinateur et ainsi de suite.

Son argument le plus important est le suivant :

Ce qui rend une technologie révolutionnaire n’est pas seulement les nouvelles capacités qui la caractérisent, mais les questions qu’elle soulève. Les technologies vraiment révolutionnaires nous forcent à nous poser de nouvelles questions sur les possibilités qui n’existaient pas une génération auparavant. Mais elles nous forcent aussi à réexaminer ce qui est convenable. Elles soulèvent des questions sur le bien et le mal que nous n’avions pas à nous poser avant.

Lorsque l’invention de l’automobile s’est répandue, les questions ont été nombreuses :

De quel côté de la route roulerons-nous? Quels seront les règles, les limites de vitesse, les dispositifs de sécurité? Qui construira nos automobiles et nos routes et dans quelles conditions? Où et comment obtiendrons-nous le carburant pour faire fonctionner les véhicules? Comment l’automobile modifiera-t-elle nos hypothèses et nos attentes?

Aucune de ces questions n’aurait vraiment été pertinente avant l’avènement du Modèle T, mais à l’ère de l’automobile, il est vite devenu essentiel d’y répondre afin d’assurer notre sécurité et notre bien-être.

Là où je veux en venir, c’est que nous avons encore de la difficulté à composer avec les changements provoqués par la révolution de l’information. Comme lors des révolutions technologiques précédentes, nous devons reconnaître la nouvelle réalité et nous y adapter si nous voulons prospérer dans les années à venir.

Les défis qui se présentent sont nombreux, mais il en est de même des possibilités.

Pour tirer profit de ces technologies, les intégrer et nous y adapter efficacement, nous devons comprendre leurs conséquences éthiques, écologiques, économiques, juridiques et sociales. C’est ce qui fait que votre recherche en sciences humaines est si essentielle à notre réussite.

Maintenant, passons à l’autre thème que vous avez défini : la recherche sur les Autochtones. Plus précisément, vous posez la question suivante : En quoi les expériences de vie et les aspirations des peuples autochtones sont-elles essentielles pour notre avenir commun?

Pour y répondre, nous n’avons qu’à examiner notre passé. En quelques mots, sans la contribution des peuples autochtones, le Canada n’existerait tout simplement pas.

J’ai parlé plus tôt des Pères de la Confédération et de leur idée audacieuse d’édifier une nation diversifiée axée sur la collaboration. En fait, les origines du Canada remontent à une époque encore plus lointaine, comme John Ralston Saul l’a souligné dans son merveilleux ouvrage Mon pays métis.

Sur la question de l’immigration et de la diversité au Canada, il écrit :

« Nous avons une conception non raciale, non linéaire et même non rationnelle de la civilisation. Elle est fondée sur l’idée d’un cercle qui s’élargit et s’adapte au fur et à mesure que de nouvelles personnes s’y joignent. Le concept n’est ni européen ni occidental; il provient directement de la culture autochtone. »

Saul poursuit en définissant le Canada comme une « civilisation métisse », c’est-à-dire que notre caractère national est par définition inclusif et mixte, et par conséquent plus solide.

À cet égard, je ne peux que souligner la ressemblance avec une autre thèse influente sur la réussite et l’échec des sociétés, soit le livre Why Nations Fail, écrit par James Robinson, de l’Université Harvard, et Daron Acemoglu, professeur d’économie au Massachusetts Institute of Technology, qui est aussi chercheur principal à l’Institut canadien de recherches avancées.

La thèse de cet ouvrage éclairant est que les sociétés ouvertes sur les plans politique et économique connaissent la prospérité, alors que les nations et les sociétés qui pratiquent l’exclusion sont vouées à l’échec.

Cela s’explique entre autres par la nécessité de veiller à ce que tous les membres de la société puissent apporter une contribution et se faire entendre dans nos collectivités. Non seulement l’inclusion est une obligation morale, mais elle constitue aussi une stratégie intelligente, car nous devons miser sur le talent et les idées de tous les Canadiens pour pouvoir relever les défis de demain.

Nous pouvons tirer de nombreux enseignements des points de vue des Autochtones de tous âges, ainsi que de la recherche sur les collectivités autochtones et leurs expériences. Le Canada prospérera si nous pouvons tirer des leçons de la grande diversité des valeurs, des cultures et des systèmes de savoir et trouver un équilibre entre ceux-ci.

Je crois fermement que, si nous avons l’esprit ouvert, nous pouvons puiser dans les meilleures idées et réflexions issues de l’ensemble de nos expériences et de nos cultures pour trouver des solutions qui sont nouvelles, dynamiques et novatrices.

Le sujet m’amène au dernier thème que j’aborderai aujourd’hui, mais brièvement : l’importance de créer des liens entre les établissements universitaires et les collectivités.

Les réseaux et les partenariats entre les collectivités et les universités offrent un grand potentiel pour ce qui est de nous aider à imaginer et à bâtir avenir meilleur pour tous.

Les établissements postsecondaires et les collectivités dans lesquelles ils se trouvent sont des partenaires naturels. C’est ce que m’a appris mon expérience à titre d’administrateur d’université. Les universités peuvent contribuer à renforcer les collectivités, et inversement, parce qu’une collectivité solide soutenue par l’apprentissage possède les ressources et l’énergie voulues pour favoriser l’existence d’établissements d’enseignement dynamiques. C’est un exemple superbe de cercle vertueux.

L’organisme Centraide et le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada nous offrent un autre bel exemple de collaboration entre une collectivité et un établissement d’enseignement. L’objectif de ce partenariat, qui réunit des chercheurs, des universitaires et des organismes communautaires, consiste à s’assurer que l’innovation sociale occupe une place centrale dans le domaine de l’innovation au Canada.

Je tiens à féliciter tous ceux parmi vous qui s’emploient à raffermir les liens entre les établissements d’enseignement et les collectivités qu’ils desservent. Votre travail revêt une importance capitale.

En dernier lieu, je souhaite également féliciter les étudiants lauréats du concours J’ai une histoire à raconter et les chercheurs qui reçoivent un prix Impacts à la présente rencontre. Il est merveilleux de voir que l’excellence est reconnue et encouragée.

En tant que gouverneur général, j’invite les Canadiens à imaginer des façons de bâtir une société plus avertie et plus bienveillante, ainsi qu’un monde plus équitable et plus juste.

Ensemble, vous contribuez à réaliser cet objectif, et je tiens à vous remercier pour vos efforts. Je vous souhaite un excellent colloque.