Symposium international sur Haïti

Ce contenu est archivé.

 

Symposium international « Haïti aujourd’hui, Haïti demain :
Regards croisés »

Ottawa, le mardi 6 avril 2010

À la question brûlante, en ces jours de grand ébranlement, ‘que devons-nous faire face à une catastrophe sans précédent?’, la réponse la plus immédiate, et certainement la plus prometteuse, est de témoigner, par nos paroles et par notre action, d’une solidarité inébranlable.

Dans une lettre adressée à mon pays natal, Haïti, publiée dans le magazine L’Actualité, alors que les images tragiques et insoutenables de souffrance, de destruction et de dévastation provoquées par le tremblement de terre du 12 janvier dernier déferlaient jour après jour sur les écrans du monde entier, j’ai parlé d’un coup presque fatal à l’espérance, l’espérance qui est depuis toujours une règle de vie dans ce pays de toutes les misères. L’espérance, même quand elle ne tient qu’à un fil, l’espérance même quand ce fil continue de s’user, sans pourtant se rompre.

J’ai salué, d’entrée de jeu et je tiens à le faire encore, la générosité immense et exemplaire des Canadiennes et des Canadiens qui ont collectivement et unanimement refusé l’indifférence quant au sort de leurs sœurs et de leurs frères d’Haïti.

Je suis d’autant plus fière de représenter un pays, non seulement de tous les possibles, comme je l’ai dit dans mon discours d’installation à titre de gouverneur général du Canada, mais d’une telle compassion au nom de la dignité humaine et du devoir de fraternité.

Si nous continuons à absorber le choc avec le même esprit manifeste de solidarité des premiers jours, le temps est maintenant venu, et je vous invite à être de ce temps, de contribuer à relever un pays entier des décombres et, selon la formule lumineuse du Plan d’action pour le relèvement et le développement national d’Haïti, d’ « inverser la spirale de vulnérabilité ».

Or, je reviens de la Conférence internationale des pays donateurs, tenue aux Nations Unies, et dont le Canada est l’un des coorganisateurs, et j’aimerais vous faire part de l’approche globale sur laquelle ont choisi de miser le gouvernement haïtien, la société civile haïtienne, et la communauté internationale, tant les gouvernements, les organismes non gouvernementaux, les institutions que le secteur privé.

Outre la nécessité des mesures d’urgence pour procurer nourriture et eau potable, pour relocaliser les populations sinistrées, ériger des abris temporaires et empêcher la propagation de maladies, à l’approche de la saison des pluies qui menace gravement des dizaines de milliers de personnes, il faut aussi et tout autant, que la reconstruction d’Haïti se pense et se réalise comme une mise à l’épreuve de la capacité de faire triompher la solidarité : la solidarité pour le bien commun avant les intérêts personnels ou particuliers.

Dans l’enceinte des Nations Unies, le président d’Haïti, René Préval, a parlé justement de la catastrophe qui s’est abattue sur son propre pays comme d’une occasion de rêver d’une autre humanité où l’esprit de partage l’emporterait sur la cupidité marchande.

Il s’agirait, ni plus ni moins, d’un cadre de développement qui mettrait la dignité humaine au cœur de tous les systèmes, de toutes les stratégies d’intervention, de tous les efforts collectifs, et qui appellerait urgemment une nouvelle éthique du partage.

J’étais moi-même en Haïti il y a à peine trois semaines. Je tenais à y célébrer la Journée internationale de la femme, le 8 mars dernier, aux côtés des femmes haïtiennes dont le courage, la mobilisation, l’inventivité et la conviction sont parmi les principaux atouts d’Haïti, et sans lesquelles nulle reconstruction d’Haïti ne me semble pensable, voire possible. On en attendait 400. Elles ont été près de 3 000 femmes à m’accueillir dans la cour intérieure de ce qui reste des bâtiments de la Condition féminine.

Il faut voir avec quelle audace, quelle ténacité et quelle originalité les femmes haïtiennes trouvent des solutions aux enjeux sociaux les plus criants.

C’est ce qui me fait croire également et tout aussi fermement que la société civile haïtienne constitue l’une des fondations les plus sures d’un développement durable d’Haïti.

J’aimerais partager avec vous trois observations que j’ai pu faire à partir de ce que les Haïtiennes et les Haïtiens m’ont confié et de ce que j’ai vu, de mes yeux vu, en parcourant les zones sinistrées, parmi les gravats et les abris de fortune où la vie cherche à s’organiser autour du chaos.

La première porte sur l’éducation comme vecteur de développement.

Une petite fille, debout devant moi dans la poussière des décombres, voulait surtout savoir où et quand reprendraient les classes. La soif d’apprendre brillait tellement dans les yeux de cette enfant, comme une oasis dans le désert de ruines à ses pieds. Et c’est de cette oasis que jaillira l’autosuffisance d’Haïti.

Ce souci d’une enfant pour son école me rappela avec force l’importance de rétablir les réseaux d’éducation en Haïti. Et tous les représentants du secteur de l’éducation rencontrés sur place me l’ont dit aussi avec insistance en me faisant le bilan des pertes au niveau humain et au niveau des infrastructures.

Ce bilan est terrible : plus de 4 000 élèves, des centaines de professeurs et des centaines de cadres ont péri; plus de 89 % des écoles et institutions scolaires, dont deux universités à Port-au-Prince, ont été détruites par le tremblement de terre. Et le souci premier, alors que l’on envisage la reconstruction, est de s’assurer que l’on injecte dans tout le système, que ce soit au niveau de l’éducation de base, de la formation professionnelle et des études supérieures, la notion d’accessibilité et de qualité.

N’oublions pas non plus à quel point les arts et la culture participent également de l’éducation voire de la vie quotidienne en Haïti. De nombreux sites patrimoniaux et de mémoire se sont écroulés, quantité de repères essentiels qui ont toujours cimenté l’identité haïtienne. Les artistes, les créateurs sont à pied d’œuvre pour rassembler, répertorier, classer, rebâtir, protéger et participer pleinement aux efforts collectifs pour que la vie triomphe du malheur et que l’âme du pays reprenne son souffle.

Tout au long de son histoire, face à l’épreuve, la population haïtienne a toujours trouvé dans les chants, la danse, les rythmes, la poésie, la peinture, un espace de recueillement pour mieux se ressaisir.

Aujourd’hui, comme hier, cette ressource est essentielle.   

Ma deuxième observation porte sur l’intégration des régions au plan national de reconstruction.

Il est beaucoup question de décentralisation, de déconcentration des ressources et des pouvoirs, de décongestionnement de la capitale dangereusement surpeuplée par l’exode rural. Donc, de l’urgence de relocaliser des populations de Port-au-Prince et des communautés sinistrées. Toutes ces prises de conscience ont redonné aux régions et au milieu rural d’Haïti, disons-le franchement, longtemps laissés-pour-compte par la capitale, un rôle vital dans le plan de relèvement national.

Il faut que les régions d’Haïti participent à part entière aux solutions et au développement de l’ensemble. Seule une approche décentralisée peut être fructueuse à court, à moyen et à long terme.

À cet égard, les représentants de la société civile que j’ai rencontrés à Port-au-Prince, Léogane et Jacmel, s’entendent tous pour dire qu’il faut renforcer les capacités hors de la capitale et décloisonner les régions; construire des ‘villages de vie’ avec des infrastructures, des services, des opportunités de travail et de développement; soutenir le savoir-faire des petits paysans et la production agricole de façon à contrer l’insécurité alimentaire; mettre de l’avant des mesures de protection environnementale de sorte à freiner notamment le processus tragique d’érosion.

Or, penser un habitat viable avec une vision nationale suppose aussi un renforcement de la gouvernance locale. Pour tout cela, il faut établir un cadastre qui permette une juste répartition des terres et surtout il faut prendre le temps de réaliser un état des lieux et des besoins de concert avec les citoyennes et les citoyens, en reconnaissant pleinement que leurs initiatives font partie des solutions.      

Ma troisième observation porte sur l’engagement des jeunes.

Le danger de voir une jeunesse devenir la proie des prédateurs de la misère humaine et du crime organisé est réel. Nous avons la responsabilité d’engager cette jeunesse nombreuse et audacieuse dans les efforts de reconstruction et celle de la mettre à contribution en développant ses capacités d’agir et en appuyant sa volonté de travailler. Plus de la moitié de la population haïtienne a moins de vingt ans! Quelle formidable énergie à canaliser avant que d’autres ne s’en chargent à des fins peu louables.

Plusieurs personnes que j’ai rencontrées lors de la conférence de New York, qui se sont rendues en Haïti depuis le séisme, m’ont fait part des mêmes préoccupations et de la nécessité de répondre à la catastrophe par une approche à la fois respectueuse des priorités et du savoir-faire du peuple haïtien et susceptible de s’imposer comme un modèle de développement.

C’est ce que souhaitent de tout cœur tous les responsables avec qui je me suis entretenue, qu’il s’agisse du Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-Moon, du  représentant spécial et Chef de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti, Edmond Mulet, de l’émissaire spécial des Nations Unies pour Haïti, Bill Clinton, ou de la secrétaire d’État américaine, Hillary Rodham Clinton.

Je me réjouis de la tenue de ce Colloque à l’université d’Ottawa qui se propose d’approfondir l’engagement, par la réflexion et l’action, à ce modèle de développement porteur d’espoir.

Car, n’en doutez pas, ce que nous sommes en train d’effectuer, c’est de prendre la mesure de ce que nous pouvons réaliser, comme espèce humaine, lorsque nous choisissons de travailler ensemble et de réinventer la vie.

C’est le rêve dont parlent les Haïtiennes et les Haïtiens.

C’est aussi le mien.

C’est-à-dire, selon la belle formule du sociologue Edgar Morin, « apprendre à être, vivre, partager, communiquer, communier en tant qu’humains de la planète Terre ».