Premier événement national de la Commission de témoignage et réconciliation du Canada sur les pensionnats indiens

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Premier événement national de la Commission de témoignage
et réconciliation du Canada sur les pensionnats indiens

Winnipeg, le samedi 19 juin 2010

C’est un honneur et un immense privilège d’être ici avec vous qui m’avez demandé d’agir à titre de témoin honoraire pour marquer cette première étape d’un long voyage vers la vérité et la réconciliation, où nous prenons le temps de confronter des pans de notre mémoire collective, des pans de notre histoire pour mieux cheminer ensemble.

Ce voyage que nous entreprenons nous concerne toutes et tous, que nous soyons autochtones ou non-autochtones, que nos racines en ce pays soient profondes ou encore très jeunes ou plus récentes.

Car, comme je l’ai souligné lors de cette cérémonie inaugurale de la Commission, qui a rassemblé dans la salle de bal de Rideau Hall, en octobre dernier, des survivants, des aînés, des jeunes et des enfants, des dirigeants, des leaders spirituels et des citoyennes et citoyens de tous les horizons, sous les auspices de l’Oiseau-Tonnerre représenté dans la toile de l’artiste ojibwé Norval Morrisseau, nous avons toutes et tous été spoliés.

De part et d’autre, nous avons été dépossédés.

Les peuples autochtones ont été dépossédés de leurs langues, de leurs cultures, de leur dignité, dépossédés des liens précieux entre les générations, dépossédés de la transmission des savoir ancestraux, dépossédés d’un patrimoine immémorial.

Les non-autochtones ont été dépossédés d’une possibilité d’apprendre au contact de toutes ces cultures ancestrales autochtones, et de l’occasion inestimable d’apprécier et de partager l’esprit, la beauté et la sonorité de toutes ces langues, d’une profonde connaissance du territoire, d’une expérience millénaire.

Je crois sincèrement que cette Commission n’aura de succès que si nous en faisons toutes et tous notre affaire.

Ce lieu même où nous nous trouvons est en soi une invitation à aller à la rencontre les uns des autres, dans un rapport de réciprocité.

« La fourche », en parlant d’un chemin, est un carrefour, un lieu de rencontre.

Pas étonnant qu’on ait nommé « La Fourche » cet endroit magnifique où nous sommes réunis, à la jonction des rivières La Rouge et Assiniboine, point de ralliement traditionnel pour les autochtones, foyer du premier établissement européen permanent dans l’Ouest du pays et terre d’accueil de nombreux immigrants.

C’est dans une volonté de partage et de dialogue que se sont inscrits les témoignages et les échanges des derniers jours.

Et je tiens à remercier du fond du cœur toutes celles et tous ceux qui ont eu le courage de raconter leur histoire.

Car, ne l’oublions pas, raconter, c’est revivre.

Revivre une douleur enfouie et que le souvenir éveille.

Revenir sur les lieux de la souffrance, là où ça fait le plus mal.

Et tenter de communiquer cette souffrance à d’autres qui ne savent pas. À d’autres qui ne l’ont pas vécue. À d’autres qui ignoraient cette page de notre histoire.

Je ne sous-estime pas la force intérieure qu’il vous faut pour y arriver.

Or, si la mémoire est un devoir, elle doit aussi s’accompagner d’un travail.

Celui qui consiste à écouter, à ressentir et à accueillir la douleur de l’Autre, à chercher à savoir, à tenter de comprendre, à réfléchir, à agir pour briser les solitudes qui nous tiennent à l’écart les uns des autres, des solitudes qui sont nombreuses dans notre  pays.

Et il faut faire ce travail tout en ayant conscience que, si on ne peut pas refaire l’histoire, on peut en prendre acte, on peut en tirer des leçons et éviter ainsi de reproduire les erreurs du passé.

Comme nous l’ont rappelé si justement les cercles de discussion et de partage auxquels nous avons pris part et qui sont au fondement de la vie spirituelle autochtone, la guérison passe d’abord par la parole.

Car la parole est libératrice, elle est réparatrice.

C’est elle qui fera jaillir la vérité en sortant de l’oubli et de l’ignorance l’un des épisodes les plus tragiques de notre histoire collective.

Oubli et ignorance sont particulièrement choquants quand on pense que pendant plus d’un siècle, des enfants ont été arrachés à leurs familles, déportés massivement vers les pensionnats et soumis à des violences et à des mesures d’assimilation forcée dans le silence, dans l’indifférence, voire l’approbation générale.

C’est de la parole, du pouvoir des mots pour nommer, pour dire, que viendront la prise de conscience et la reconnaissance, de part et d’autre, des faits, des douleurs et des pertes.

Cette prise de conscience et cette reconnaissance sont absolument nécessaires pour transcender l’outrage et pour aller toutes et tous ensemble de l’avant.

Et c’est la parole qui nous conduira à une réconciliation véritable, si elle est accueillie avec compassion, respect et responsabilité.

Nous avons fait le choix de miser sur la promesse lumineuse de la vérité.

Je le redis : c’est un acte de courage. De part et d’autre.

Mais ce faisant, nos yeux, nos cœurs et nos esprits s’ouvrent à de nouvelles possibilités.

Il nous faut saisir ces possibilités qui s’offrent à nous pour faire de ce pays, cette terre vaste et généreuse que nous avons en partage, un exemple pour tous ceux qui, comme nous, à l’échelle de la planète, ont pris le chemin de la vérité et de la réconciliation après avoir vécu des années d’oppression.

Faisons place, entre nous, à des expressions fraternelles de solidarité et d’espoir.

L’occasion nous est donnée de renaître d’une période accablante de notre histoire et d’imaginer comment nous souhaitons vivre ensemble.

L’occasion nous est aussi donnée de transmettre à nos enfants une mémoire dont ils seront fiers.

Je me souviens de ma première rencontre avec une communauté autochtone de ce pays à titre de gouverneur général.

C’était une visite à l’école secondaire Children of the Earth, non loin d’ici, une école à contrecourant des pensionnats que beaucoup d’entre vous avez connus.

C’est une école qui s’est donné pour mission de maintenir les traditions, les cultures, les langues, les expériences dans lesquelles s’enracinent l’identité pour restaurer chez nos jeunes la fierté de soi et de ses origines.

C’est, de plus, une école inclusive des autres et de la diversité.

Une école dont les résultats scolaires sont probants, à en juger par le taux de réussite.

Une école qui est un signe d’espoir.

Un signe d’espoir pour nous toutes et tous, mais surtout, pour celles et ceux qui viendront après nous.

Oui, nous pouvons changer le cours de l’histoire et en écrire une suite qui nous ressemble et qui nous rassemble.

C’est là notre plus grande responsabilité.

Merci, merci de m’accueillir avec tant de chaleur.

Merci d’avoir partagé si généreusement avec moi et avec tant d’autres vos histoires et vos expériences de vie, qui s’inscrivent dans notre parcours collectif.

La vie est un long fleuve qui marche.

Merci.